CAA de BORDEAUX, 1ère chambre - formation à 3, 24/05/2018, 15BX00402, Inédit au recueil Lebon

Presiding JudgeMme GIRAULT
Record NumberCETATEXT000036960088
Date24 mai 2018
Judgement Number15BX00402
CounselSELARL LEXCASE
CourtCour administrative d'appel de Bordeaux (Cours Administrative d'Appel de France)
Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure :

La société Indian Ocean Exploration (IOE) Ltd a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner solidairement les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et l'Etat français à lui verser une somme de 722 337 euros au titre du préjudice subi à la suite de l'exécution, selon elle déloyale et fautive, par les TAAF du contrat de vente du navire de recherches scientifiques " La Curieuse ", et du refus opposé par l'Etat de lui accorder la protection contre la piraterie par une équipe embarquée, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2011, avec capitalisation des intérêts. A titre reconventionnel, les TAAF demandaient la condamnation de la société IOE à leur verser la somme de 100 000 euros en raison des réparations qu'elles ont dû effectuer sur le navire après sa restitution.


Par un jugement n° 1200344 du 2 octobre 2014, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté la demande de la société IOE et les conclusions reconventionnelles des TAAF.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 février 2015, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 9 mai, 10 juillet et 26 octobre 2017 et les 1er février, 6 mars et 4 avril 2018, la société IOE Ltd, représentée par Me B... et Ferrata, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 2 octobre 2014 ;

2°) à titre principal,
- de condamner solidairement les TAAF ainsi que l'Etat au paiement d'une indemnité de 660 222 euros au titre du préjudice subi, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable du 20 décembre 2011, avec capitalisation des intérêts ;
- de condamner l'Etat au paiement de la somme de 157 080 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable du 20 décembre 2011 et capitalisation des intérêts ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner respectivement les TAAF et l'Etat français au paiement des sommes de 572 739 euros et 157 080 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable du 20 décembre 2011 ;

4°) de rejeter les conclusions reconventionnelles des TAAF ;

5°) de mettre à la charge des TAAF la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le contrat de vente est nul pour vice du consentement : opposer à la société IOE l'impossibilité de principe de tout changement de pavillon du fait des conditions d'affectation du navire trois mois par an à disposition des TAAF, en dépit des stipulations du premier alinéa de l'article 8.1.6 du contrat, revient à considérer que les TAAF ont trompé la société IOE lors de la conclusion du contrat en lui faisant croire qu'elle pourrait, le cas échéant, solliciter le changement de pavillon ; cette stipulation, qui n'était donc pas en phase avec la réalité, a eu pour effet de vicier son consentement ; le fait de soumettre tout changement de pavillon à l'obtention d'un agrément totalement discrétionnaire et potestatif des TAAF, qui avait vocation à n'être jamais accordé, a, en outre, constitué une manoeuvre dolosive à son détriment ; elle a donc droit au remboursement des dépenses utiles et de celles résultant de la faute des TAAF ;
- subsidiairement, la responsabilité contractuelle des TAAF est engagée : les TAAF ont manqué à leur obligation de loyauté lors de l'exécution du contrat ; d'une part, les TAAF ont délibérément tiré profit de l'ambiguïté de ses correspondances pour imposer de façon irrévocable la rupture anticipée du contrat alors qu'elle n'avait aucunement demandé de façon expresse la mise en oeuvre de l'article 12-1 ; la résiliation amiable n'avait été envisagée qu'à titre conditionnel dans le cadre d'hypothèses de travail et à défaut de toute solution alternative permettant la poursuite de l'exploitation du navire ; ces courriers ont été dénaturés ; si les TAAF refusaient les solutions alternatives proposées par IOE, ils auraient dû l'indiquer en lui laissant alors le choix ultime de formuler, en toute connaissance de cause, une éventuelle demande de rupture amiable, en bonne et due forme, conformément à la logique fixée par l'article 12.1 du contrat ; les motifs économiques ne pouvaient valablement être opposés pour justifier la décision de résilier la convention ; elle a immédiatement manifesté une opposition claire à toute rupture du contrat, évoquant le marché qu'elle venait d'obtenir, faisant obstacle à un consentement clair et sans équivoque ; d'autre part, les TAAF ont refusé sans motif valable d'appliquer la clause 8.1.6 du contrat relative à la modification de pavillon du navire et d'ajourner la résiliation ; alors que seul un changement de pavillon offrait une solution lui permettant de poursuivre l'exploitation du navire, l'évocation de la " tardiveté de la demande " n'a été qu'un paravent permettant aux TAAF de ne pas respecter ses droits contractuels ;
- la responsabilité de l'Etat doit être engagée sans faute sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques ; les obligations de l'Etat en matière de sécurité des navires battant pavillon français trouvent leur source dans le droit international ; le titre VII de la convention de l'Organisation des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 ratifiée par la France par la loi n°95-1311 du 21 décembre 1995, reconnaît aux Etats parties à la convention des pouvoirs de police, notamment en vue de garantir la sécurité de la navigation maritime, laquelle comprend la lutte contre la piraterie maritime ; la convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de la navigation maritime, ratifiée par la France le 2 décembre 1991, est spécifiquement conçue pour autoriser et réglementer l'exercice des pouvoirs de police des Etats parties en vue de réprimer ou d'éviter la commission d'actes de piraterie ; ces obligations trouvent également leur source en droit interne ; l'article 12 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen fait obligation à l'Etat d'assurer la sécurité collective des citoyens, de laquelle découle celle de protéger les installations en mer battant pavillon français ; s'agissant en particulier de la zone maritime sud de l'Océan indien, cette obligation est définie par l'arrêté du 22 mars 2007 établissant la liste des missions en mer incombant à l'Etat dans les zones maritimes de la Manche-mer du Nord, de l'Atlantique, de la Méditerranée, des Antilles, de Guyane, du sud de l'Océan Indien et dans les eaux bordant les Terres australes et antarctiques françaises ; l'annexe jointe à cet arrêté, de même que l'étude d'impact jointe au projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires, confirment l'obligation d'intervention qui pèse sur l'Etat ;
- la demande de protection qu'elle avait formulée était bien fondée ; le navire " La Curieuse ", battant pavillon français, toujours propriété des TAAF aux termes d'une clause de réserve de propriété, dont l'équipage est composé à majorité de citoyens français, et dont l'activité présente un intérêt scientifique stratégique, remplissait parfaitement les conditions pour bénéficier du concours de la force publique sous la forme d'une équipe de protection embarquée ; cette demande a fait l'objet d'un soutien explicite de la part des TAAF ; le refus opposé à la demande n'a pas résulté d'un défaut d'éligibilité de la demande mais simplement d'un manque de moyens de l'Etat et d'un arbitrage effectué par celui-ci entre un nombre trop important de demandes par rapport aux moyens disponibles ; la mission de prospection sous-marine profonde dans le canal du Mozambique entre le 12 ème et le 15ème degré Sud relevait bien d'une zone de piraterie ; si la piraterie maritime peut être considérée comme un aléa normal de toute exploitation maritime, la recrudescence et la violence des attaques à partir de 2010, après la conclusion du contrat, en sont une manifestation anormale, qui a conduit les sociétés d'assurance à refuser leur couverture des risques en l'absence de mesures de protection particulière ; cette situation a nécessité l'intervention du législateur en 2014 pour autoriser spécialement les navires à pouvoir solliciter les sociétés privées de sécurité ; elle a été la seule à se voir refuser l'octroi d'[0]une équipe de protection embarquée (EPE) pour défaut de moyens disponibles ;
- le préjudice subi est anormal ; d'abord, le préjudice subi est d'une particulière gravité ; le refus opposé par l'Etat a empêché la société d'honorer le contrat d'armement qu'elle avait remporté pour la mission scientifique dans le canal du Mozambique ; combiné avec le refus systématique des TAAF de faire droit aux demandes de changement de pavillon, le rejet par l'Etat de la demande de protection militaire a anéanti toutes possibilités pour la société d'exploiter normalement le navire pour des missions dans l'océan Indien et a directement participé à la fin de son exploitation ; d'autre part, ce préjudice excède les aléas normaux de l'exploitation du navire dans la zone sud de l'Océan Indien ; le risque de piraterie au sud du Kenya n'était pas connu à la fin de l'année 2008 ; alors que sa demande de protection remplissait les conditions, un refus n'était pas prévisible ; contrairement à d'autres armateurs qui ont pu bénéficier de la protection d'équipes embarquées, le manque de moyens étatiques du fait du caractère limité des ressources militaires disponibles a conduit l'Etat à devoir lui refuser l'octroi du concours de la force publique ; ensuite, la société n'a pas bénéficié d'avantages particuliers après le refus de concours des forces armées opposé par le ministre ; enfin, le préjudice subi n'est pas la conséquence d'un risque particulier qu'elle aurait assumé ; les missions scientifiques ne sont pas par nature dangereuses ;
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