Cour de cassation, Assemblée plénière, 25 juin 2014, 13-28.369, Publié au bulletin

Presiding JudgeM. Lamanda (premier président)
ECLIECLI:FR:CCASS:2014:AP00612
Case OutcomeRejet
Docket Number13-28369
CitationSur le n° 3 : Sur l'interprétation de la clause en question du règlement intérieur de l'association, en sens contraire :Soc., 19 mars 2013, pourvoi n° 11-28.845, Bull. 2013, V, n° 75 (cassation)
Date25 juin 2014
CounselMe Spinosi,SCP Waquet,Farge et Hazan
Appeal NumberP1400612
Subject MatterCONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Pouvoir de direction - Etendue - Restriction aux libertés fondamentales - Restriction à la liberté religieuse - Limites PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Libertés fondamentales - Domaine d'application - Liberté religieuse - Détermination - Portée
CourtAssemblée Plénière (Cour de Cassation de France)
Publication au Gazette officielBu.. 2014, Ass. plén. n° 1
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

Audience publique du 25 juin 2014

M. LAMANDA, premier président

Rejet
Arrêt n° 612 P + B + R + I
Pourvoi n° E 13-28. 369


LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par Mme Fatima X..., épouse Y..., domiciliée ..., 78570 Chanteloup-les-Vignes,
contre l'arrêt rendu le 27 novembre 2013 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9, audience solennelle), dans le litige l'opposant à l'association Baby-Loup, dont le siège est 12 place du Trident, 78570 Chanteloup-les-Vignes,
défenderesse à la cassation ;

Mme Fatima X..., épouse Y... s'est pourvue en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles (11e chambre) en date du 27 octobre 2011 ;

Cet arrêt a été cassé le 19 mars 2013 par la chambre sociale de la Cour de cassation ;

La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Paris qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 27 novembre 2013 ;

Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, le premier président a, par ordonnance du 8 janvier 2014, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière ;

La demanderesse invoque, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme X..., épouse Y... ;

Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par Me Spinosi, avocat de l'association Baby-Loup ;

Le rapport écrit de M. Truchot, conseiller, et l'avis écrit de M. Marin, procureur général, ont été mis à la disposition des parties ;

Sur quoi, LA COUR, siègeant en assemblée plénière, en l'audience publique du 16 juin 2014, où étaient présents : M. Lamanda, premier président, MM. Lacabarats, Louvel, Charruault, Terrier, Espel, Mme Flise, présidents, M. Truchot, conseiller rapporteur, M. Gridel, Mme Nocquet, MM. Breillat, Héderer, Chollet, Mme Riffault-Silk, MM. Mas, Straehli, Mmes Canivet, Fossaert, M. Ballouhey, conseillers, M. Marin, procureur général, Mme Tardi, directeur de greffe ;

Sur le rapport de M. Truchot, conseiller, assisté de MM. Burgaud et Pons, auditeurs au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, de Me Spinosi, l'avis de M. Marin, procureur général, auquel les parties invitées à le faire, ont répliqué, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;


Sur les cinq moyens réunis, pris en leurs diverses branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 novembre 2013), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 19 mars 2013, n° 11-28. 645, Bull. 2013, V, n° 75) que, suivant contrat à durée indéterminée du 1er janvier 1997, lequel faisait suite à un emploi solidarité du 6 décembre 1991 au 6 juin 1992 et à un contrat de qualification du 1er décembre 1993 au 30 novembre 1995, Mme X..., épouse Y... a été engagée en qualité d'éducatrice de jeunes enfants exerçant les fonctions de directrice adjointe de la crèche et halte-garderie gérée par l'association Baby-Loup ; qu'en mai 2003, elle a bénéficié d'un congé de maternité suivi d'un congé parental jusqu'au 8 décembre 2008 ; qu'elle a été convoquée par lettre du 9 décembre 2008 à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire, et licenciée le 19 décembre 2008 pour faute grave, pour avoir contrevenu aux dispositions du règlement intérieur de l'association en portant un voile islamique et en raison de son comportement après cette mise à pied ; que, s'estimant victime d'une discrimination au regard de ses convictions religieuses, Mme X..., épouse Y... a saisi la juridiction prud'homale le 9 février 2009 en nullité de son licenciement et en paiement de diverses sommes ;

Attendu que Mme X..., épouse Y... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que l'entreprise de tendance ou de conviction suppose une adhésion militante à une éthique philosophique ou religieuse et a pour objet de défendre ou de promouvoir cette éthique ; que ne constitue pas une entreprise de tendance ou de conviction une association qui, assurant une mission d'intérêt général, se fixe pour objectifs dans ses statuts « de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'oeuvrer pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes (...) sans distinction d'opinion politique et confessionnelle » ; qu'en se fondant sur les missions statutairement définies pour qualifier l'association Baby-Loup d'entreprise de conviction cependant que son objet statutaire n'exprime aucune adhésion à une doctrine philosophique ou religieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 § 2 de la directive 78/ 2000/ CE du 27 novembre 2000 ;

2°/ que les convictions ou tendances d'une entreprise procèdent d'un choix philosophique, idéologique ou religieux et non de la nécessité de respecter des normes juridiques ou des contraintes attachées à la nature des activités de l'entreprise ; que la nécessité prétendue de protéger la liberté de conscience, de pensée et de religion de l'enfant déduite de la Convention de New York ou celle de respecter la pluralité des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en oeuvre une insertion sociale et professionnelle dans un environnement multiconfessionnel ne sont pas constitutivement liées à une entreprise de conviction ; qu'en se fondant sur cette « nécessité » pour qualifier l'association Baby-Loup d'entreprise de conviction en mesure d'exiger la neutralité de ses employés, la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et l'article 4 § 2 précité de la directive 78/ 2000/ CE du 27 novembre 2000 ;

3°/ que l'article 14 de la Convention relative aux droits de l'enfant - qui n'est pas au demeurant d'application directe - n'emporte aucune obligation qu'une entreprise recevant de petits enfants ou dédiée à la petite enfance soit obligée d'imposer à son personnel une obligation de neutralité ou de laïcité ; que la cour d'appel a violé ledit texte par fausse application, outre les textes précités ;

4°/ qu'en tant que mode d'organisation de l'entreprise destiné à « transcender le multiculturalisme » des personnes à qui elle s'adresse, la neutralité n'exprime et n'impose aux salariés l'adhésion à aucun choix politique, philosophique ou idéologique seul apte à emporter la qualification d'entreprise de tendance ou de conviction ; que la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et l'article 4 § 2 de la directive 78/ 2000/ CE du 27 novembre 2000 ;

5°/ que la laïcité, principe constitutionnel d'organisation de l'Etat, fondateur de la République, qui, à ce titre, s'impose dans la sphère sociale ne saurait fonder une éthique philosophique dont une entreprise pourrait se prévaloir pour imposer à son personnel, de façon générale et absolue, un principe de neutralité et une interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion ; que la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble les articles 9 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er de la Constitution ;

6°/ qu'une entreprise ne peut s'ériger en « entreprise de conviction » pour appliquer des principes de neutralité - ou de laïcité - qui ne sont applicables qu'à l'Etat ; que ni le principe de laïcité instauré par l'article 1er de la Constitution, ni le principe de neutralité consacré par le Conseil constitutionnel au nombre des principes fondamentaux du service public, ne sont applicables aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; qu'ils ne peuvent dès lors être invoqués pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail ; qu'il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ; qu'en retenant que l'association Baby-Loup pouvait imposer une obligation de neutralité à son personnel dans l'exercice de ses tâches, emportant notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion aux motifs de la nécessité de protéger la liberté de pensée, de conscience et de religion à construire pour chaque enfant ainsi que la pluralité des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en oeuvre une insertion sociale et professionnelle aux métiers de la petite enfance, et que l'entreprise assure une mission d'intérêt général subventionnée par des fonds publics, la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les articles 1 à 4 de la directive 78/ 2000/ CE du 27 novembre 2000 ;

7°/ que des restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peuvent être créées que par la loi nationale au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; que cette loi nationale doit elle-même, au sens de cette jurisprudence respecter l'ordre...

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