Cour de cassation, Chambre mixte, 30 novembre 2018, 17-16.047, Publié au bulletin

Presiding JudgeMme Flise (président doyen faisant fonction de premier président)
ECLIECLI:FR:CCASS:2018:MI00286
Case OutcomeRejet
CounselSCP Matuchansky,Poupot et Valdelièvre,SCP Ricard,Bendel-Vasseur,Ghnassia
Appeal NumberM1800286
Date30 novembre 2018
CourtChambre Mixte (Cour de Cassation de France)
Docket Number17-16047


COUR DE CASSATION LG


CHAMBRE MIXTE


Audience publique du 30 novembre 2018


Mme Flise, président doyen
faisant fonction de premier président Rejet


Arrêt n° 286 P+B+R+I
Pourvoi n° U 17-16.047



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

1°/ la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Mayenne (FDSEA 53), dont le siège estrue Albert Einstein, parc technopole, 53810 Changé,

2°/ M. Philippe Y..., domicilié [...],

3°/ M. Benoît Z..., domicilié [...],

4°/ le Syndicat des jeunes agriculteurs de la Mayenne (JA 53), dont le siège est rue Albert Einstein, parc technopole, 53810 Changé, contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2017 par la cour d'appel d'Angers (chambre A, civile), dans le litige les opposant à la société Lactalis investissements, société en nom collectif, dont le siège est10 à 20 rue Adolphe Beck, 53000 Laval,

défenderesse à la cassation ;

Par arrêt du 5 avril 2018, la première chambre civile a renvoyé le pourvoi devant une chambre mixte. Le premier président a, par ordonnance du 25 octobre 2018, indiqué que cette chambre mixte serait composée des première, deuxième chambres civiles et des chambres sociale et criminelle ;

La Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Mayenne, demanderesse, invoque, devant la chambre mixte, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la cour de cassation par Me Ricard, avocat de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Mayenne, du Syndicat des jeunes agriculteurs de la Mayenne et de MM. Y... et Z... ;

Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Lactalis investissements ;

Le rapport écrit de M. Bellenger, conseiller, et l'avis écrit de M. Cordier, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;

Sur quoi, LA COUR, siégeant en chambre mixte, en l'audience publique du 16 novembre 2018, où étaient présents : Mme Flise, président doyen faisant fonction de premier président, Mme Batut, MM. Soulard, Cathala, présidents, M. Prétot, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, Mme Kamara, MM. Huglo, Savatier, Fossier, Maron, Besson, Mmes Duval-Arnould, Bozzi, Basset, Taillandier-Thomas, conseillers, M. Cordier, premier avocat général, Mme Berdeaux, directeur des services de greffe ;

Sur le rapport de M. Bellenger, conseiller, assisté de Mme Cottereau, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, l'avis de M. Cordier, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Donne acte à MM. Y... et Z... et au Syndicat des jeunes agriculteurs de la Mayenne du désistement de leur pourvoi ;

Sur les moyens réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 17 janvier 2017), que, le 15 juillet 2013, à l'appel d'organisations syndicales agricoles, des producteurs de lait se sont réunis devant la Maison des agriculteurs de Mayenne, située à Changé ; qu'ils se sont ensuite rendus aux abords du siège du groupe Lactalis, pour y exprimer leur mécontentement ; que des pneumatiques ont été placés par des manifestants devant le portail d'accès de l'entreprise, puis incendiés à la nuit tombée ; que les équipements permettant la fermeture du site ayant été détériorés, la société Lactalis investissements (la société) a assigné la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Mayenne (le syndicat), sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, aux fins d'obtenir réparation de son préjudice ;

Attendu que le syndicat fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société une certaine somme, alors, selon le moyen :

1°/ que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, devenu 1240 du code civil ; qu'en accueillant la demande formée par la société Lactalis et tendant à la condamnation de la FDSEA 53 à lui payer des dommages-intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, en raison de propos caractérisant une provocation directe à la commission d'actes illicites dommageables consistant à l'embrasement de pneus, alors que seul l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 était applicable pour réprimer cette provocation, la cour d'appel a violé l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2°/ que la provocation directe à la commission d'actes illicites dommageables, susceptible d'engager la responsabilité d'une organisation syndicale, nécessite la caractérisation d'instructions claires et positives ; qu'en l'espèce, M. Y..., président du syndicat, a pris la parole au cours d'un rassemblement d'agriculteurs au cours duquel il a tenu les propos suivants : "organisez les tracteurs qui seront préalablement vidés, d'accord. Et une fois que l'on sera là, tout le monde va éviter de se garer n'importe où et surtout pas de se garer chez Lactalis, propriété privée ; enfin, faites-moi confiance. Personne ne se gare chez Lactalis sauf les pneus, d'accord. Donc, on a organisé le rangement des pneus et ensuite on se rejoint au rond-point, je vous y attendrai..." ; qu'en affirmant que ces propos constituent une instruction caractérisant une provocation directe à la commission d'actes illicites dommageables par les participants à la manifestation, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, devenu l'article 1240 du code civil ;

3°/ qu'en matière de provocation directe à la commission d'actes illicites dommageables, susceptible d'engager la responsabilité d'une organisation syndicale, les éléments extérieurs aux paroles incriminées ne peuvent suppléer à ce qui ne résulterait pas du texte ; qu'en déduisant la responsabilité du syndicat, de la constatation que les pneus lorsqu'ils sont déversés en masse sur les lieux d'une manifestation sont très souvent enflammés par les participants ou encore de l'utilisation dans le discours de M. Y... d'un vocabulaire décalé, ponctué par un sourire, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des éléments extérieurs qui ne permettent pas de suppléer l'absence de consignes claires et positives appelant ouvertement à la mise à feu de ces pneus, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, devenu l'article 1240 du code civil ;

4°/ que la cour d'appel qui a constaté qu'il n'est pas formellement démontré que M. Y... ait donné l'ordre de mettre le feu ou personnellement participé à l'embrasement des pneus, d'une part, puis que les propos qu'il avait tenus constituaient une instruction caractérisant une provocation directe à la commission des actes illicites dommageables commis au moyen de ces pneus par les participants à la manifestation, d'autre part, a entaché sa décision de contradiction et ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient que le président du syndicat est celui qui, par la teneur de ses propos, a pris en charge l'organisation logistique des opérations et donné les instructions d'organisation de la manifestation à tous les participants présents au rassemblement ; qu'il a donné dans ce cadre les directives "pour garer et ranger les pneus chez Lactalis" ; qu'il a, ensuite, fixé un nouveau rendez-vous aux manifestants à un rond-point d'où ils sont alors partis vers l'usine et qu'il était sur place lorsque ces pneus ont été embrasés ;

Que la cour d'appel ayant fait ressortir la participation effective du syndicat aux actes illicites commis à l'occasion de la manifestation en cause, il en résulte que l'action du syndicat constituait une complicité par provocation au sens de l'article 121-7 du code pénal, de sorte que se trouvait caractérisée une faute de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, sans que puisse être invoqué le bénéfice de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Fédération départementale des syndicats d'exploitants...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT