Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 28 mars 2018, 16-26.210, Publié au bulletin

Presiding JudgeMme Mouillard
ECLIECLI:FR:CCASS:2018:CO00344
Case OutcomeRejet
Publication au Gazette officielBull. 2018, IV, n° 35
CitationN1 > Sur les personnes morales pouvant invoquer l'article 1er du Protocole additionnel :2e Civ., 11 juillet 2013, pourvoi n° 12-20.528, Bull. 2013, II, n° 167 (2) (rejet)
Appeal Number41800344
Date28 mars 2018
Docket Number16-26210
CounselSCP Fabiani,Luc-Thaler et Pinatel,SCP Lesourd,SCP Thouin-Palat et Boucard
CourtChambre Commerciale, Financière et Économique (Cour de Cassation de France)
Subject MatterCONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Cour européenne des droits de l'homme - Saisine - Qualité du requérant - Personnes morales - Organisations non gouvernementales - Détermination - Exclusion - Cas - Commune
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 septembre 2016), que la commune de [...] (la commune) qui, pour financer la réalisation ou la rénovation d'équipements communaux, avait régulièrement eu recours à des prêts, consentis notamment par la société Dexia crédit local (la société Dexia), a, les 14 et 23 mai 2007, conclu avec cette dernière un contrat de prêt d'un montant de 3 833 771,52 euros remboursable en vingt-sept ans et neuf mois, destiné à la restructuration de deux prêts souscrits précédemment ; que, les 12 et 23 février 2010, la commune et la société Dexia ont conclu un nouveau contrat de prêt d'un montant de 2 682 908,95 euros remboursable en vingt-cinq ans, destiné à refinancer partiellement le prêt souscrit en 2007 ; que ces deux contrats stipulaient que, pendant une première phase de près de quatre ans pour le premier prêt et de deux ans pour le second, les intérêts seraient calculés par application d'un taux fixe, qu'ensuite, dans l'hypothèse où, pendant une deuxième phase de seize ans pour le premier prêt et de vingt ans pour le second, le cours de l'euro en franc suisse serait inférieur au cours pivot de 1,45 franc suisse pour 1 euro, les intérêts seraient calculés par application d'un taux variable composé de la somme d'un taux fixe et de 50 % du taux de variation du cours de change de l'euro en franc suisse, qu'enfin, pendant la durée résiduelle du contrat, les intérêts seraient, de nouveau, calculés par application du taux fixe applicable à la première phase ; qu'estimant avoir été ainsi exposée à des risques importants en raison de la nature spéculative de ces prêts, la commune a assigné la société Dexia en annulation des deux contrats et en paiement de dommages-intérêts ; qu'au cours de la procédure, elle a également demandé l'annulation de la clause d'intérêts convenue dans le contrat de prêt de 2010 en raison des irrégularités affectant, selon elle, la mention du taux effectif global, en soutenant que la loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, qui leur interdisait, sous certaines conditions, de contester, pour défaut ou irrégularité de cette mention, la validité de la clause d'intérêts stipulée dans un contrat de prêt conclu avant l'entrée en vigueur de cette loi, portait atteinte à un intérêt juridiquement protégé par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention) et son premier Protocole additionnel et devait donc être écartée ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la commune fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce que la loi du 29 juillet 2014 sur la sécurisation des emprunts structurés souscrits par les personnes morales de droit public soit jugée inapplicable au contrat litigieux alors, selon le moyen :

1°/ que si les communes sont irrecevables à saisir la Cour européenne des droits de l'homme pour faire constater une violation de leurs droits, elles sont recevables à invoquer le bénéfice des stipulations de la Convention, et notamment de ses articles 6-1 et de l'article 1er de son premier Protocole additionnel si bien qu'en jugeant que la commune n'était pas recevable à invoquer la Convention européenne des droits de l'homme au motif, impropre, qu'elle ne pouvait elle-même saisir la Cour européenne, la cour a violé, par fausse application, les stipulations de l'article 34 de la Convention européenne des droits de l'homme, et, par refus d'application celles de son article 6-1 et de l'article 1er de son premier Protocole additionnel ;

2°/ que si les communes sont irrecevables à saisir la Cour européenne des droits de l'homme pour faire constater une violation de leurs droits, elles sont recevables à invoquer le bénéfice des stipulations de l'article 6-1 de la Convention qui protègent tout justiciable contre l'ingérence de l'État dans un procès en cours par une loi de validation en matière civile si bien qu'en jugeant que la commune de [...] n'était recevable à invoquer aucune stipulation de la Convention au motif, impropre, qu'elle ne pouvait saisir la Cour européenne des droits de l'Homme, la cour a violé, par fausse application, les stipulations de l'article 34 de la Convention européenne des droits de l'homme, et, par refus d'application celles de son article 6-1 ;

Mais attendu que l'arrêt énonce exactement qu'une commune, qui n'est pas assimilée à une organisation non gouvernementale au sens de l'article 34 de la Convention dans la mesure où, s'agissant d'une personne morale de droit public, elle exerce une partie de la puissance publique, ne peut ni saisir la Cour européenne des droits de l'homme, ni invoquer utilement devant les juridictions nationales les stipulations de la Convention ou de son premier Protocole additionnel et ce, quelle que soit la nature du litige ; que le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la commune fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce que les contrats soient annulés en raison de leur caractère spéculatif et pour avoir été conclus par le maire hors de son champ de compétence et, en conséquence, de la condamner à payer les impayés du contrat de prêt souscrit le 23 mars 2010, majorés des intérêts de retard, alors, selon le moyen :

1°/ que la liberté contractuelle des collectivités territoriales est limitée par le principe selon lequel ces dernières ne peuvent agir et contracter qu'en vue de satisfaire un intérêt public local, c'est-à-dire un besoin d'intérêt général de leur population ; que la conclusion d'un contrat exposant la collectivité à un risque financier illimité caractérisé par le poids combiné, sur la collectivité, du risqué lié à la variation du taux d'intérêt et du risque lié à la valeur du contrat, qui empêche la collectivité d'en sortir, est contraire à l'intérêt public local et conséquemment illicite quelle que soit sa qualification et les motifs ayant conduit à sa conclusion de sorte qu'en rejetant la nullité du contrat litigieux, aux motifs inopérants qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne limite la liberté contractuelle des collectivités locales à conclure des contrats de prêt, que la circulaire prohibant la conclusion de tels contrats n'était pas normative et que le contrat visait à financer des investissements d'intérêt général, sans rechercher, comme elle était invitée à le faire, si l'exposition de la collectivité à un risque illimité résultant tant du risque de variation du taux d'intérêt que du risque lié à la valeur du contrat, ne s'opposait pas à la conclusion d'un tel contrat contraire à l'intérêt public local, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1111-1 et L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales ;

2°/ que constitue un emprunt structuré complexe comportant un contrat d'option le contrat prévoyant que l'emprunteur cède à la banque sa propre exposition à un risque illimité, pendant la majeure partie du contrat, en échange du bénéfice d'un taux d'intérêt bonifié en début et en fin de contrat si bien qu'en se bornant à relever, pour écarter cette qualification, que les obligations contractées étaient pré-définies et non optionnelles, la cour d'appel, a violé les dispositions des articles L. 211-1 et D 211-1-A du code monétaire et financier ;

3°/ que l'exposition de l'emprunteur à un taux d'intérêt indexé sur l'évolution des devises et donc potentiellement illimité, pendant la majeure partie du contrat, qui a pour contrepartie un taux d'intérêt bonifié en début et en fin de contrat constitue une opération spéculative adossée à un emprunt, si bien qu'en se bornant à relever, pour écarter cette qualification, que l'opération ne pouvait avoir de caractère spéculatif puisqu'elle avait été conclue en vue de refinancer des investissements, sans rechercher, comme elle était invitée à le faire, si les modalités de calcul du taux d'intérêt et le montant de l'indemnité de sortie faisant obstacle à tout retrait du contrat ne traduisaient pas une opération spéculative caractérisée par l'exposition de la commune à un risque illimité pendant l'essentiel de la durée du contrat, ayant pour contrepartie un taux d'intérêt bonifié en début et en fin de contrat, la cour d'appel, qui n'a pas pris en considération les spécificités de l'opération litigieuse pour en apprécier le caractère spéculatif, a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 321-1, L. 211-1 et D. 211-1-A du code monétaire et financier ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé que, si le taux d'intérêt de la deuxième phase de remboursement des prêts n'était pas fixé au moment de la signature des contrats, le mode de calcul de ce taux variable était précisément défini, l'arrêt retient que les engagements des parties ont ainsi été définitivement fixés lors de la conclusion des contrats litigieux, sans qu'une nouvelle manifestation de volonté de leur part ne soit requise ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel en a déduit que ces contrats n'incorporaient pas des contrats d'option ;

Et attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé que les contrats de prêts litigieux comportent un aléa, consistant en l'application, pour la deuxième phase de remboursement, d'un taux variable calculé en fonction du taux de variation du cours du change de l'euro en franc suisse, l'arrêt retient qu'ils ne constituent pas, pour autant, des contrats spéculatifs puisque, en les souscrivant, la commune n'a pas cherché à s'enrichir mais seulement à refinancer des investissements réalisés dans l'intérêt général à des conditions de taux d'intérêt les plus avantageuses possibles ; qu'en cet état, et dès lors que le caractère spéculatif d'une opération ne peut résulter de la seule exposition de la collectivité territoriale à des risques illimités, la cour d'appel, qui a procédé à la...

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