Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 15 mars 2012, 10-15.503, Publié au bulletin, rectifié par un arrêt du 3 mai 2012

Presiding JudgeM. Loriferne
Case OutcomeRejet
CounselSCP Célice,Blancpain et Soltner,SCP Masse-Dessen et Thouvenin
Date15 mars 2012
Appeal Number21200434
Docket Number10-15503
CourtDeuxième Chambre Civile (Cour de Cassation de France)
Publication au Gazette officielBulletin 2012, II, n° 46

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 février 2010), que, le 29 avril 2004, Jean-Philippe X..., salarié de la société Renault (l'employeur), a été victime d'un accident mortel du travail, que la caisse primaire d'assurance maladie de Pontoise a pris en charge au titre de la législation professionnelle ; que, sur constitution de partie civile de M. Jean-Claude X..., père de la victime, une information judiciaire a été ouverte du chef d'homicide involontaire ; que M. et Mme Jean-Claude X... et Mme Marie-France X... ont saisi une juridiction de sécurité sociale d'une demande d'indemnisation complémentaire en raison de la faute inexcusable de la société ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de sursis à statuer formée devant la juridiction de sécurité sociale, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'article 4, alinéa 2, du code de procédure pénale que la juridiction civile, saisie d'une demande tendant à la réparation d'un dommage résultant de fait dont a été saisie une juridiction pénale, est tenue de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction répressive se soit prononcée ; que le sursis à statuer doit être prononcé dès lors que la décision à intervenir sur l'action publique est susceptible d'influer sur celle qui sera rendue sur l'action civile, sans qu'il soit besoin d'établir une identité de cause et d'objet entre les deux actions ; que dès lors que la décision de la juridiction répressive est susceptible de s'imposer à la juridiction de sécurité sociale à l'égard de l'établissement des circonstances de fait, la juridiction de sécurité sociale doit surseoir à statuer sur l'action en réparation consécutive à l'accident du travail dans l'attente de la décision qui sera rendue par la juridiction répressive ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que l'accident du travail mortel dont a été victime Jean-Philippe X... faisait l'objet d'une instruction pénale pour homicide involontaire, que M. X..., père de la victime, s'était constitué partie civile et que cette instruction était toujours en cours ; que la société exposait que, indépendamment d'une éventuelle dissociation entre les qualifications de faute inexcusable et de faute pénale non intentionnelle, la décision à intervenir sur l'action publique était susceptible d'avoir une influence sur la décision de la juridiction civile en ce qui concerne la détermination des faits et de la cause exacte de l'accident ; qu'en rejetant néanmoins la demande de sursis à statuer, en se fondant sur le motif inopérant tiré de la dissociation entre les qualifications de faute inexcusable et de faute pénale non intentionnelle, la cour d'appel a violé les articles 4 et 4-1 du code de procédure pénale ;

Mais attendu que l'arrêt retient exactement qu'il résulte de l'article 4-1 du code de procédure pénale que la faute pénale non intentionnelle, au sens des dispositions de l'article 121-3 du code pénal, est dissociée de la faute inexcusable au sens des dispositions de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ; qu'il appartient dès lors à la juridiction de la sécurité sociale de rechercher si les éléments du dossier permettent de retenir la faute inexcusable de l'employeur, laquelle s'apprécie de façon distincte des éléments constitutifs de l'infraction d'homicide involontaire ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de juger que l'accident dont a été victime Jean-Philippe X... était dû à sa faute inexcusable, alors, selon le moyen, que c'est à la victime d'un accident du travail ou à ses ayants droit qui se prévalent de l'existence d'une faute inexcusable qu'il incombe d'en rapporter la preuve ; que, s'il n'a pas à être la cause déterminante de l'accident, le manquement de l'employeur ne peut être reconnu comme faute inexcusable que s'il est établi de manière certaine que ce manquement a été l'une des causes nécessaires de cet accident ; que la faute inexcusable ne peut dès lors être acquise lorsque les circonstances sont indéterminées et qu'il n'est pas établi que le danger qu'il est reproché à l'employeur de ne pas avoir anticipé n'a pas contribué au dommage de manière certaine ; qu'au cas présent, il résultait du compte-rendu de la réunion du comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail du 22 février 2005 que la cabinet Technologia avait indiqué dans la présentation de son rapport que l'arbre des causes présenté ne constituait pas "une vérité absolue" ; qu'il s'agissait des "différentes hypothèses qui auraient pu avoir un rôle dans la survenue de l'accident" et de "l'interprétation du cabinet Technologia de cet accident" ; que le cabinet Technologia précisait dans sa présentation que "si cet arbre des causes devait être refait demain, il serait différent" ; qu'en se fondant néanmoins sur de simples hypothèses émises par le cabinet Technologia pour considérer que l'accident aurait été causé par un risque dont la société aurait dû avoir conscience, au motif que la société ne produisait aucun élément contredisant ces hypothèses, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé un lien de causalité nécessaire entre, d'une part, les manquements imputés à la société et, d'autre part, l'accident dont a été victime Jean-Philippe X..., a violé les articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, 1147 et 1315 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient, d'une part, que l'employeur aurait dû avoir conscience du danger résultant à la fois de la présence de piles d'outils à proximité des lignes de presse, qui encombraient physiquement les axes de circulation et réduisaient le champ visuel des opérateurs, et de la polyvalence de l'activité de pontier et de conducteur de ligne dans une équipe réduite à cinq personnes dont un intérimaire, d'autre part, que les mesures de protection mises en place étaient insuffisantes pour préserver la sécurité du salarié eu égard notamment au positionnement des outils à proximité des zones de presse ;

Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu décider que l'accident du travail était en lien de causalité avec les manquements de la société, de sorte que cette dernière avait commis une faute inexcusable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Renault aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ; la condamne à payer à M. et Mme Jean-Claude X... et Mme Y... la somme globale de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Renault


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir écarté l'exception de sursis à statuer soulevée par la société RENAULT ;

AUX MOTIFS QUE «Sur le sursis à statuer : Considérant qu'à la suite de l'accident mortel dont Jean-Philippe X... a été victime le 29 mars 2004, une information judiciaire du chef d'homicide involontaire a été ouverte le 7 mai 2004 ; que Jean-Claude X..., père de Jean-Philippe, s'est constitué partie civile ; que l'instruction est toujours en cours ; Que selon l'article 4-1 du code de procédure pénale, l'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage… en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie ; Qu'il résulte de ce texte que la faute pénale non intentionnelle, au sens de l'article 121-3 du code pénal, est dissociée de la faute inexcusable telle que définie par la Cour de Cassation dans une jurisprudence dorénavant constante ; Qu'il appartient dès lors à la juridiction du contentieux de la...

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