Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 17 décembre 2008, 04-12.315, Publié au bulletin

Presiding JudgeM. Cachelot (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Case OutcomeCassation partielle
CounselSCP Delaporte,Briard et Trichet,SCP Nicolaÿ,de Lanouvelle,Hannotin
Docket Number04-12315
Date17 décembre 2008
Appeal Number30801317
CourtTroisième Chambre Civile (Cour de Cassation de France)
Publication au Gazette officielBulletin 2008, III, n° 206
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 13 février 2002), que la société italienne Enel a passé un contrat avec la société Total international Ltd portant sur la livraison de fioul lourd n° 2 destiné à servir de combustible pour la production d'électricité ; que, pour l'exécution de ce contrat, la société Total raffinage distribution (devenue société Total France) a vendu à la société Total international Ltd 30 000 tonnes de fioul lourd n° 2, laquelle a affrété le navire Erika pour le transporter du port de Dunkerque au port de Milazzo (Italie) ; que, le 12 décembre 1999, le navire pétrolier Erika a sombré déversant une partie de sa cargaison et de ses soutes en mer et entraînant une pollution du littoral atlantique français ; que la commune de Mesquer a assigné la société Total raffinage distribution et la société Total international Ltd en paiement des dépenses déjà engagées par la commune au titre des opérations de nettoyage et de dépollution de son territoire ; que par arrêt du 28 mars 2007, la Cour de cassation a sursis à statuer et saisi la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) de questions préjudicielles ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la commune de Mesquer fait grief à l'arrêt de dire que le fioul lourd n° 2 n'est pas caractéristique d'un déchet et de la débouter de sa demande de condamnation in solidum des sociétés Total international Ltd et Total raffinage distribution à lui payer une somme, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en estimant que l'arrêté du 18 septembre 1967 définissant les caractéristiques du fioul lourd n° 2 était inapplicable en l'espèce, au motif que l'Erika devait débarquer sa cargaison en Italie, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ensemble l'arrêté susvisé ;

2°/ qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y avait été invitée par la commune de Mesquer, si la substance transportée par l'Erika avait une viscosité à 100° C inférieure à 40 centistokes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'arrêté du 18 septembre 1967 ;

3°/ qu'en retenant que la substance transportée par l'Erika était du fioul lourd "au sens communautaire et selon la pratique admise en la matière", pour ensuite écarter la qualification de déchet de cette substance, sans préciser les caractéristiques du fioul lourd au sens de ce droit et de cette pratique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 541-1 et suivants du code de l'environnement ;

4°/ qu'en retenant que la substance transportée par l'Erika était du fioul lourd "au sens communautaire et selon la pratique admise en la matière", pour ensuite écarter la qualification de déchet de cette substance, sans préciser ses caractéristiques, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles L. 541-1 et suivants du code de l'environnement ;

5°/ subsidiairement, qu'est un déchet, au sens de l'article L. 541-1 du code de l'environnement, tout résidu d'un processus de production, de transformation ou d'utilisation ; qu'ayant constaté que le fioul lourd n° 2 était un résidu du processus de raffinage du pétrole, processus de transformation du pétrole brut en produits adaptés aux besoins des consommateurs, la cour d'appel n'a pas, en refusant de qualifier ce fioul de déchet, tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi par refus d'application le texte susvisé ;

6°/ plus subsidiairement, que le mode d'utilisation d'une substance n'est pas déterminant de la qualification ou non de déchet ; qu'en se déterminant néanmoins, pour refuser de qualifier de déchet le fioul lourd n° 2 transporté par l'Erika, au regard de considérations inopérantes liées à sa destination convenue par les sociétés pétrolières et son acquéreur, aux fins de production d'électricité par voie de combustion et à son utilisation, en général, aux fins de production de ladite énergie, la cour d'appel a violé l'article L. 541-1 du code de l'environnement, interprété à la lumière de l'article 1er de la directive CEE n° 75-442 du 15 juillet 1975 ;

7°/ que la combustion d'un bien est une opération d'élimination de ce dernier, quand bien même elle aurait pour finalité la production d'énergie ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 541-2 du code de l'environnement (article 2 de la loi du 15 juillet 1975) ;

Mais attendu que la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit (CJCE 24 juin 2008, commune de Mesquer c/ société Total France SA et société Total international Ltd, C-188/07) qu'une substance telle que celle en cause au principal, à savoir du fioul lourd vendu en tant que combustible, ne constitue pas un déchet au sens de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets, telle que modifiée par la décision 96/350/CE de la Commission, du 24 mai 1996, dès lors qu'elle est exploitée ou commercialisée dans des conditions économiquement avantageuses et qu'elle est susceptible d'être effectivement utilisée en tant que combustible sans nécessiter d'opération de transformation préalable ;

Et attendu qu'ayant relevé, en procédant à la recherche prétendument omise, que, selon l'expertise confiée à M. X... par la juridiction administrative, la cargaison de l'Erika était du fioul lourd n° 2 tel que défini par l'arrêté du 18 septembre 1967 et que ces conclusions étaient confirmées, après analyses, par la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement de Haute-Normandie, l'Institut français du pétrole et le Centre de documentation de recherche et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) et constaté que le fioul lourd n° 2 était un produit issu du processus de raffinage, qui répondait aux spécifications de la société Enel et était destiné à une utilisation directe comme combustible pour les besoins de production électrique, la cour d'appel, qui a pu en déduire, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants, que la cargaison de l'Erika ne pouvait être qualifiée de déchet, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le troisième moyen, ci-après annexé :

Attendu qu'ayant relevé que le risque lié au naufrage était évidemment connu de l'armateur, qui n'avait pas à être spécialement averti, le connaissement, accompagné d'ailleurs de divers documents informatifs sur la nature et les particularités de la cargaison faisant état de fioul lourd, ce qui était conforme à la cargaison réelle, la cour d'appel, qui a pu en déduire que le transfert de garde s'était opéré lors du chargement du fioul à bord et que la responsabilité des sociétés Total ne pouvait être recherchée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le quatrième moyen, ci-après annexé :

Attendu qu'ayant relevé qu'il n'était pas établi que le fioul lourd n° 2 transporté par le navire Erika était atteint d'une défectuosité quelconque, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à de simples allégations non assorties d'une offre de preuve, a, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant, légalement justifié sa décision de ce chef ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu l'article L. 541-2 du code de l'environnement, interprété à la lumière des objectifs assignés aux Etats membres par la directive CEE 75-442 du 15 juillet 1975 ;

Attendu que toute personne qui produit ou détient des déchets dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l'air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et, d'une façon générale, à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, est tenue d'en assurer ou d'en faire assurer l'élimination conformément aux dispositions du présent chapitre, dans des conditions propres à éviter lesdits effets ; que l'élimination des déchets comporte les opérations de collecte, transport, stockage, tri et traitement nécessaires à la récupération des éléments et matériaux réutilisables ou de l'énergie, ainsi qu'au dépôt ou au rejet dans le milieu naturel de tous autres produits dans des conditions propres à éviter les nuisances ci-dessus mentionnées ;

Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE 24 juin 2008, commune de Mesquer c/ société Total France SA et société Total international Ltd, C-188/07)2) a dit pour droit que des hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite d'un naufrage, se retrouvant mélangés à l'eau ainsi qu'à des sédiments et dérivant le long des côtes d'un Etat membre jusqu'à s'échouer sur celles-ci, constituent des déchets au sens de l'article 1er, sous a), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, dès lors que ceux-ci ne sont plus susceptibles d'être exploités ou commercialisés sans opération de transformation préalable et qu'aux fins de l'application de l'article 15 de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, au déversement accidentel d'hydrocarbures en mer à l'origine d'une pollution des côtes d'un Etat membre, le juge national peut considérer le vendeur de ces hydrocarbures et affréteur du navire les transportant comme producteur des dits déchets, au sens de l'article 1er, sous b), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, et, ce faisant, comme "détenteur antérieur" aux fins de l'application de l'article 15, second tiret, première partie, de cette directive, si ce juge...

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