Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 février 2017, 15-21.064, Publié au bulletin

Presiding JudgeM. Frouin
ECLIECLI:FR:CCASS:2017:SO00283
Case OutcomeCassation partielle
Date08 février 2017
CitationSur la définition de la faute lourde, dans le même sens que :Soc., 22 octobre 2015, pourvois n° 14-11.291 et 14-11.801, Bull. 2015, V, n° 201 (cassation partielle) (arrêts n° 1 et n° 2), et les arrêts cités
Appeal Number51700283
CounselSCP Gatineau et Fattaccini,SCP Le Bret-Desaché
Docket Number15-21064
Subject MatterCONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Licenciement disciplinaire - Faute du salarié - Faute lourde - Définition
CourtChambre Sociale (Cour de Cassation de France)

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé le 23 juin 1998 en qualité de chef de mission par la Société fiduciaire nationale d'expertise comptable (la société) ; qu'au dernier état de la relation de travail, il occupait les fonctions de directeur d'agence ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail ; qu'il a été licencié pour faute lourde le 29 novembre 2005 ;

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches :

Vu l'article L. 223-14 alinéas 1er et 4 du code du travail, devenu article L. 3141-26 du code du travail, en sa rédaction résultant de la décision n° 2015-523 du Conseil constitutionnel en date du 2 mars 2016 ;

Attendu que la faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise ;

Attendu que pour déclarer le licenciement fondé sur une faute lourde, l'arrêt retient que le salarié, sans se contenter de remplir son obligation contractuelle d'information, a tenu devant les clients de son employeur des propos contraires aux intérêts de celui-ci en remettant en question le bien fondé de sa politique tarifaire, que ce faisant il a fait preuve de déloyauté à l'égard de son employeur en le plaçant en situation de porte-à-faux vis-à-vis de plusieurs de ses clients sur l'un des éléments essentiels de la relation contractuelle à savoir le prix de la prestation, que compte tenu de son niveau de responsabilité (directeur d'agence) et de sa qualification (expert-comptable), l'auteur de ces propos dénigrant la politique tarifaire de la société devant la clientèle ne pouvait ignorer leur impact et leur caractère préjudiciable et que ces agissements caractérisent l'intention de nuire à l'employeur ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la volonté de nuire du salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et attendu que la cour d'appel ayant caractérisé la faute grave du salarié, la cassation intervenue, si elle atteint le chef de dispositif relatif à l'existence d'une faute lourde, ne s'étend pas aux chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes relatives, d'abord au salaire et aux congés payés pendant la mise à pied conservatoire, ensuite aux indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, enfin à l'indemnité de licenciement ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il décide qu'est justifié le licenciement pour faute lourde, l'arrêt rendu le 5 mai 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la Société fiduciaire nationale d'expertise comptable aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la Société fiduciaire nationale d'expertise comptable à payer à M. X... la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille dix-sept.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour M. X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de résiliation judiciaire formée par M. X... et en conséquence d'AVOIR débouté le salarié de sa demande de condamnation de l'employeur à lui verser les sommes de 5875 euros au titre de l'annulation de la mise à pied disciplinaire outre 587, 50 euros au titre des congés payés afférents, 17625 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 1762, 50 euros à titre de congés payés afférents, 4347 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, 660 250 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice économique et moral, 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur tout en continuant à travailler à son service et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande était justifiée. Si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d'envoi de la lettre de licenciement. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
Sur la résiliation judiciaire :
Suivant courrier du 2 juillet 2004, M. X... manifestait à sa hiérarchie son inquiétude quant aux augmentations des honoraires décidées par la direction nationale.
Par courrier en date du 23 juin 2005, il faisait part à son directeur régional de son insatisfaction, suite à l'entretien qu'ils avaient eu le 3 mai précédent, dans les termes suivants :
" L'objet de cette réunion portait sur les différences d'appréciations de ma fonction évoquées lors de multiples entretiens téléphoniques. Au cours de cet entretien les éléments suivants furent abordés :
- la politique commerciale du groupe et l'incidence de celle-ci sur la clientèle dont j'ai la charge ;
- la politique salariale du groupe et le ressenti de mon équipe ;
- les limites de mes fonctions,
- mes perspectives d'évolution dans les travaux qui me sont proposés.
Vous m'avez reçu pendant deux heures sans toutefois apporter réponse à mes préoccupations. Je me permets une nouvelle fois d'attirer votre attention sur les problèmes que je rencontre au quotidien.
Depuis le 1 " juillet 2004, le groupe a fait le choix de procéder à deux augmentations d'honoraires par exercice. Mes clients alésiens et cévenols en grande partie acceptent mal ces augmentations qu'ils estiment non justifiées, la prestation demeurant identique.
J'éprouve des difficultés à motiver mes collaborateurs.
En effet, au regard des autres salariés des cabinets comptables concurrents les salaires que je verse sont nettement inférieurs. J'ai à plusieurs reprises sollicité des augmentations qui n'ont pas été accordées. Cela me paraît d'autant moins justifié qu'avec la même équipe nous réalisons un chiffre d'affaires supérieur à 25 % de celui de mon prédécesseur.
J'ai ci souhait de faire évoluer ma prestation de travail.
J'ai été sollicité pour des missions de Commissaire aux comptes que j'ai dû décliner tenant votre refus. Je vous ai fait par de ma volonté d'être formateur dans le cadre de la DR. Je vous ai également proposé ma candidature au poste d'inspecteur, le tout a été refusé.
Durant ces cinq dernières années, j'ai eu la charge de diriger et d'organiser l'agence d'Alès, je pense avoir fait preuve de diligences dépassant largement le cadre des prérogatives qui sont les miennes, allant du développement à la prise en main d'une équipe difficile qui n'a pas manqué de me donner " du fil à retordre ".
Point d'orgue, la présentation d'un cabinet comptable de 760 000 € de chiffre d'affaires potentiellement achetable que vous avez également refusé.
En réponse à mes différentes propositions je n'ai essuyé que des refus. Vous comprendrez aisément aujourd'hui que je sois quelque peu dépité. La situation de mes collaborateurs n'évolue pas, la mienne suivant le même sort.
Merci de bien vouloir m'indiquer si vous souhaitez la simple gestion et le maintien en l'état actuel ou l'amélioration de l'outil de travail que vous m'avez confié.
N'ayant pas reçu de réponse, M. X... relançait sa hiérarchie par courriel du 19 juillet, puis adressait cette lettre en la forme recommandée le 1er septembre 2005.
Suivant courrier du 13 septembre, l'employeur indiquait " avoir pris bonne note de ses remarques, comprendre son impatience de voir évoluer ses fonctions ", mais lui objectait que " les règles de la politique générale du groupe s'appliquent à tous et que leurs entretiens réguliers seraient l'occasion de faire le point des éventuelles possibilités de répondre à ses demandes. "
Le 15 septembre 2005, le salarié répliquait comme suit :
" [...] Je n'aurai jamais la prétention de juger votre politique commerciale sur le territoire national.
Par contre vous m'avez donné en gestion le secteur bien particulier d'Alès qui la supporte très mal.
J'essuie les plâtres pour tenter de conserver les clients qui ne comprennent pas les augmentations d'honoraires bi annuelles (moi non plus d'ailleurs).
Je suis seul exposé à gérer ses conflits et essaie au mieux que je peux de limiter les évasions de clientèle.
Je comptabilise pour l'instant 51 courriers de clients qui me menacent de partir, je ne vais pas pouvoir tenir longtemps.
Ma conscience professionnelle est quelque peu ébranlée car je n'arrive pas moi-même à saisir la subtilité de vos directives.
Je vais en subir directement le contrecoup car ma rémunération est assise pour une partie non négligeable sur le chiffre que je réalise.
J'y observe tenant mes alertes une inexécution de votre part à mon endroit de vos obligations contractuelles.
[] "
Par courrier du 21 septembre 2005, il indiquait à son directeur régional avoir été inscrit " par erreur semble-t-il " au tableau des experts comptables comme " indépendant ", contrairement aux instructions de son employeur datées du 9 septembre, qu'il indiquait n'avoir reçues que tardivement, le 20 septembre. Il...

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