Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 30 septembre 2015, 14-16.273, Publié au bulletin

Presiding JudgeMme Batut
ECLIECLI:FR:CCASS:2015:C101023
Case OutcomeRejet
Docket Number14-16273
CitationSur le n° 1 : Dans le même sens que :1re Civ., 7 février 2006, pourvoi n° 04-10.941, Bull. 2006, I, n° 59 (rejet). Sur le n° 2 : Dans le même sens que :1re Civ., 9 juillet 2003, pourvoi n° 00-20.289, Bull. 2003, I, n° 172 (rejet)
Appeal Number11501023
CounselMe Le Prado,SCP Hémery et Thomas-Raquin,SCP Waquet,Farge et Hazan
Date30 septembre 2015
Subject MatterPRESSE - Liberté d'expression - Restriction - Causes - Protection des droits d'autrui - Atteinte à des droits protégés - Atteinte à l'intimité de la vie privée - Applications diverses - Oeuvre de fiction mélangeant des faits réels et des faits imaginaires, en rapport avec la vie privée d'une personne, diffusée sans son accord et source de confusion pour le public PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Caractérisation - Cas - Oeuvre de fiction mélangeant des faits réels et des faits imaginaires portant atteinte à la vie privée d'autrui CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 - Liberté d'expression - Exercice - Caractère abusif - Applications diverses - Oeuvre de fiction mélangeant des faits réels et des faits imaginaires portant atteinte à la vie privée d'autrui CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 8 - Respect de la vie privée et familiale - Atteinte - Caractérisation - Cas - Oeuvre de fiction mélangeant des faits réels et des faits imaginaires, en rapport avec la vie privée d'une personne, diffusée sans son accord et source de confusion pour le public
CourtPremière Chambre Civile (Cour de Cassation de France)
Publication au Gazette officielBulletin 2016, n° 836, 1re Civ., n° 241

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 février 2014), rendu en référé, que la société Arte France (la société Arte) a diffusé un programme qu'elle avait coproduit avec la société Maha productions, intitulé « Intime Conviction », composé, d'une part, d'un téléfilm projeté, le 14 février 2014, sur la chaîne de télévision Arte, qui décrivait une enquête de police diligentée à la suite de la mort violente d'une femme et ayant conduit à l'arrestation de son époux, médecin légiste, dénommé Paul X..., d'autre part, de vidéos diffusées sur un site internet édité par le groupement européen d'intérêt économique Arte (GEIE Arte), entre le 14 février et le 2 mars 2014, retraçant, jour après jour, le procès de Paul X... devant une cour d'assises ; que chaque internaute pouvait consulter le dossier constitué par les services de la production et donner, après chaque audience, son avis sur l'innocence ou la culpabilité de l'accusé, le verdict de la cour d'assises fictive et celui des internautes devant être diffusés le 2 mars 2014 ; que M. Y..., qui avait été mis en examen en 2001, après la mort par arme à feu de son épouse, du chef de meurtre, avant d'être acquitté par une cour d'assises le 31 octobre 2013, s'est reconnu dans le personnage de Paul X... ; qu'il a assigné la société Maha Productions, la société Arte et le GEIE Arte, en vue d'obtenir la cessation de la diffusion de ce programme et le paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice, ainsi que la publication sur la chaîne de télévision Arte et sur deux sites internet d'un encart reprenant partiellement la décision de justice à intervenir ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi incident, réunis :

Attendu que la société Maha Productions, la société Arte et le GEIE Arte font grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors, selon le moyen :

1°/ que la relation, sous quelque forme que ce soit, de faits publics déjà divulgués ne peut constituer, en elle-même, une atteinte au respect dû à la vie privée ; qu'en retenant, au contraire, pour dire que la diffusion du programme Intime Conviction causerait un trouble manifestement illicite à M. Y..., d'une part, que les éléments tenant à sa vie privée divulgués par la presse lors de sa comparution devant la cour d'assises ne pouvaient être licitement repris, dès lors que le programme litigieux était une oeuvre de fiction et non un documentaire ou un article d'information, d'autre part, que même en admettant que M. Y... ait lui-même exposé dans les médias des éléments de sa vie privée, ces révélations ne seraient pas de nature à en justifier à nouveau leur divulgation sans l'accord de l'intéressé, la cour d'appel a violé les articles 9 du code civil, 809 du code de procédure civile et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que la liberté d'expression a pour corollaire la liberté de création audiovisuelle ; que les droits au respect de la vie privée et à la liberté d'expression, revêtant, eu égard aux articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 9 du code civil, une identique valeur normative, font ainsi devoir au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ; qu'en partant, au contraire, du principe que, dans tous les cas, une création audiovisuelle ne pourrait empiéter sur le terrain de la vie privée de personnes vivantes, dès lors que l'oeuvre réalisée ne présente pas les éléments ressortant de celle-ci comme totalement fictifs, et en s'abstenant ainsi de procéder à une balance des intérêts en présence au terme d'un examen in concreto, la cour d'appel a violé les articles 9 du code civil, 809 du code de procédure civile et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ qu'en se bornant, par ailleurs, à affirmer que l'« ajout » d'éléments de fiction porterait atteinte à la vie privée de M. Y..., dès lors que « le téléfilm qui retrace l'enquête et le procès fictif sont des oeuvres de fiction qui ont incorporé des éléments imaginaires à ceux de l'existence du demandeur », sans prendre en considération le fait que ces éléments imaginaires s'insèrent dans une oeuvre de fiction dont le héros ne s'appelle pas Jean-Louis Y... mais Paul X..., et sans mettre en balance le droit de M. Y... au respect de sa vie privée avec la liberté d'expression et de création, qui implique, par hypothèse, la possibilité pour l'auteur d'une oeuvre de fiction de s'inspirer de faits réels et d'incorporer dans son oeuvre des éléments imaginaires, la cour d'appel a violé les articles 9 du code civil, 809 du code de procédure civile et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ qu'aux termes de l'article 809 du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que la relation de faits publics déjà divulgués ne peut constituer en elle-même une atteinte au respect dû à la vie privée ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que le programme litigieux s'inspire de faits réels, de sorte que sa diffusion ne pouvait constituer un trouble manifestement illicite ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé la disposition susvisée, ensemble l'article 9 du code civil ;

5°/ que la relation, sous quelque forme que ce soit, de faits publics déjà divulgués ne peut constituer, en elle-même, une atteinte au respect dû à la vie privée ; qu'en retenant, pour juger que la diffusion du programme litigieux porte atteinte au respect de la vie privée de M. Y..., que même si une partie des faits tenant à la vie privée de M. Y... ont été divulgués par la presse lors de sa comparution devant la cour d'assises, ils ne peuvent cependant être licitement repris dès lors que le programme « Intime Conviction » est une oeuvre de fiction, et non pas un documentaire ou un article d'information, et que même en admettant que M. Y... ait lui-même exposé dans les médias des éléments de sa vie privée, ces révélations antérieures ne sont pas de nature à en justifier de nouveau la divulgation sans l'accord de l'intéressé, la cour d'appel a violé les articles 9 du code civil, 809 du code de procédure civile et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

6°/ que les droits au respect de la vie privée et à la liberté d'expression, revêtant, eu égard aux articles 8 et 10 de la Convention européenne et 9 du code civil, une identique valeur normative, font ainsi devoir au juge saisi de rechercher leur équilibre ; qu'une ingérence dans le droit à la liberté d'expression enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l'article 10 ; qu'elle doit donc être prévue par la loi, inspirée par un ou des buts légitimes au regard dudit paragraphe et nécessaire, dans une société démocratique, pour les atteindre ; qu'en conséquence, le juge ne saurait postuler qu'une oeuvre de fiction, s'inspirant de faits réels, porte atteinte au droit au respect de la vie privée de la personne concernée ; que la cour d'appel a énoncé que même si une partie des faits tenant à la vie privée de M. Y... ont été divulgués par la presse lors de sa comparution devant la cour d'assises, ils ne peuvent cependant être licitement repris dès lors que le programme « Intime Conviction » est une oeuvre de fiction, et non pas un documentaire ou un article d'information, et que la création audiovisuelle peut certes s'inspirer de faits réels et mettre en scène des personnages vivants mais qu'elle ne saurait, sans l'accord de ceux-ci, empiéter sur le terrain de leur vie privée dès lors que l'oeuvre ainsi réalisée ne présente pas clairement les éléments ressortant de celles-ci comme totalement fictifs ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui a postulé que l'oeuvre télévisuelle litigieuse, dès lors qu'il s'inspirait de faits réels, portait atteinte au droit au respect de la vie privée de M. Y..., a violé les articles 9 du code civil, 809 du code de procédure civile et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

7°/ que les droits au respect de la vie privée et à la liberté d'expression, revêtant, eu égard aux articles 8 et 10 de la Convention européenne et 9 du code civil, une identique valeur normative, font ainsi devoir au juge saisi de rechercher leur équilibre ; qu'une ingérence dans le droit à la liberté d'expression enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l'article 10 ; qu'elle doit donc être prévue par la loi, inspirée par un ou des buts légitimes au regard dudit paragraphe et nécessaire, dans une société démocratique, pour les atteindre ; qu'en conséquence, le juge ne saurait postuler que des données fictionnelles ou imaginaires portent atteinte au droit au respect de la vie privée d'une personne, par hypothèse, distincte d'un personnage de fiction ; que la cour d'appel a énoncé que des scènes de pure fiction ont été ajoutées, comme celle où Paul X..., médecin légiste, est en train de déjeuner tranquillement entouré de deux cadavres partiellement dénudés prêts à autopsier, scène qui, fût-elle imaginaire, porte aussi atteinte au respect de la vie privée de M. Y... ; que, par motifs adoptés du premier juge, elle a énoncé que le téléfilm qui retrace l'enquête et le procès fictif sont des oeuvres de fiction qui ont incorporé des éléments imaginaires à ceux de l'existence du demandeur et qui ont ainsi porté atteinte à la vie privée de M. Y... ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 9 du code civil, 809 du code de procédure civile et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu que le droit au respect de la vie privée, prévu par les articles 8 de la Convention...

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