Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 13 septembre 2017, 15-15.872, Publié au bulletin

Presiding JudgeMme Mouillard
ECLIECLI:FR:CCASS:2017:CO01095
Case OutcomeRejet
Date13 septembre 2017
Docket Number15-15872
CounselMe Le Prado,SCP Célice,Soltner,Texidor et Périer,SCP Matuchansky,Poupot et Valdelièvre,SCP Piwnica et Molinié
Appeal Number41701095
CourtChambre Commerciale, Financière et Économique (Cour de Cassation de France)
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 janvier 2015), que M. Y..., gérant de la société Auxerre distribution presse Y... (la société ADPF), s'est vu refuser l'agrément de dépositaire central de presse par décision du 17 juillet 2013 de la Commission du réseau (la CDR), délégataire du Conseil supérieur des messageries de presse (le CSMP) ; que parallèlement à la contestation de cette décision individuelle devant le tribunal de grande instance, M. Y... et la société ADPF ont déposé, le 3 décembre 2013, devant la cour d'appel de Paris, un recours en annulation de la décision de portée générale n° 2013-05 du CSMP du 3 octobre 2013 précisant les procédures applicables en la matière, et de la délibération n° 2013-07 de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (l'ARDP) du 31 octobre 2013, qui l'avait rendue exécutoire, en invoquant une violation du droit de l'Union européenne ;

Attendu que M. Y... et la société ADPF font grief à l'arrêt de rejeter leur recours alors, selon le moyen :

1°/ que l'article 101 du TFUE, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3, du TUE, qui instaure un devoir de coopération entre l'Union européenne et les États membres, impose à ces derniers de ne pas prendre ou de ne pas maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises, et que ces dispositions sont violées lorsqu'un État membre soit impose ou favorise la conclusion d'ententes contraires à l'article 101 du TFUE ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention d'intérêt économique ; que la cour d'appel, pour refuser d'annuler les décisions n° 2013-05 du CSMP et n° 2013-07 de l'ARDP, a retenu que le CSMP a été investi par le législateur d'une fonction normative qui s'exerce exclusivement dans un but d'intérêt général de régulation du secteur et dans des conditions qui conduisent à écarter le moyen tiré de ce que l'État aurait délégué ses pouvoirs sans contrôle étatique suffisant, en se fondant sur le mécanisme de régulation bicéphale, les garanties d'indépendance et d'impartialité de l'ARDP, et la possibilité pour cette dernière de refuser de rendre exécutoire une décision du Conseil qui lui est soumise, et d'orienter l'action du CMSP ; qu'en statuant ainsi, malgré l'absence de pouvoir de réformation de l'ARDP lors de l'adoption des décisions litigieuses, la brièveté du délai imparti pour refuser de rendre exécutoire une décision du CSMP, la place importante des professionnels du service du CSMP, et malgré sa propre absence de pouvoir de substitution en considération de l'opportunité au regard de l'intérêt général, la cour d'appel a violé l'article 101 du TFUE lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3, du TUE ;

2°/ que les lois et les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication, cette disposition n'étant pas applicables aux actes individuels ; que la loi ne dispose que pour l'avenir ; et n'a pas d'effet rétroactif ; que la cour d'appel, pour refuser d'annuler les décisions n° 2013-05 du CSMP et n° 2013-07 de l'ARDP, a retenu que l'atteinte au principe de sécurité juridique ne pouvait être utilement invoquée car les décisions déférées n'étaient pas créatrices de droit et s'appliquaient aux requérantes dont les propositions avaient été rejetées, de sorte qu'elles n'avaient pas à réserver le cas des contentieux en cours et que si le tribunal annulait les décisions individuelles prises par la CDR, cette annulation mettrait fin aux regroupements contestés sans que les décisions du CSMP et de l'ARDP n'y changent quoi que ce soit ; que la décision n° 2013-05 du CSMP, relative aux modalités de mise en oeuvre des décisions de la Commission du réseau concernant les dépositaires centraux de presse dispose pourtant (20°) : "Les dispositions ci-dessus sont applicables aux décisions qui ont été prises par la Commission du réseau avant la date d'adoption de la présente décision par l'Assemblée du Conseil supérieur des messageries de presse" ; qu'ainsi les décision et délibération litigieuses, intervenues pendant qu'étaient en cours des litiges relatifs à la suspension de la décision de refus d'agrément de M. Y... et à la décision de la CDR du 17 juillet 2013 contestée par M. Y... et la société ADPF, régissaient la prise d'effet de décisions antérieures, impliquant la suppression d'agréments et la résiliation de contrats et la prolongation du délai de validité des décisions non exécutées ; qu'en refusant d'admettre l'existence d'une urgence, caractérisant une ingérence, la cour d'appel a méconnu les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité des lois, les articles 1er et 2 du code civil et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève qu'il résulte de la loi n° 2011-852 du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse que les décisions de portée générale du CSMP ne peuvent entrer en vigueur que par une délibération ou une abstention de l'ARDP et, qu'en cas de refus, le président du CSMP dispose d'un délai de quinze jours pour présenter ses observations à l'ARDP qui peut rendre exécutoires les décisions ou demander au CSMP une nouvelle délibération, en lui adressant, le cas échéant, des recommandations ; qu'il relève également que, par sa composition, qui comporte un conseiller d'Etat, un magistrat de la Cour de cassation et un magistrat de la Cour des comptes, nommés par arrêté du ministre chargé de la communication, et du fait des missions qui lui sont confiées, l'ARDP présente les garanties d'indépendance et d'impartialité requises d'une autorité administrative indépendante ; qu'il relève encore que les décisions de portée générale du CSMP peuvent faire l'objet d'un recours en annulation devant la cour d'appel de Paris, dont la compétence exclusive est justifiée par le fait que la conformité de ces décisions au droit de la concurrence est susceptible d'être examinée ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a exactement retenu que le CSMP avait été investi par le législateur d'une fonction normative qui s'exerçait exclusivement dans un but d'intérêt général de régulation du secteur concerné et dans des conditions qui ne conduisaient pas à constater que l'Etat avait délégué ses pouvoirs sans contrôle étatique suffisant ;

Et attendu, d'autre part, que l'arrêt constate que la décision n° 2013-05 du CSMP se borne à définir pour l'avenir les conditions de mise en oeuvre des décisions individuelles prises par la CDR et à prolonger jusqu'au 30 avril 2014 le délai de validité initial des décisions non encore exécutées, ainsi que la période ouverte aux dépositaires de presse pour trouver un accord ; qu'il relève que cette décision ne remet pas en cause les décisions individuelles passées créatrices de droit et ne prive pas d'effet les recours formés à l'encontre des décisions individuelles prises par la CDR ; que de ces constatations, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu le principe de sécurité juridique ni les exigences du procès équitable, a déduit à bon droit que la décision n° 2013-05 du CSMP ne produisait pas d'effet rétroactif ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. Y... et la société Auxerre distribution presse Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer au Conseil supérieur des messageries de presse la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour M. Loïc Y..., la société Auxerre distribution presse Y...

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué :

D'AVOIR rejeté le recours formé à l'encontre de la décision du CMSP n° 2013-05 du 3 octobre 2013 et de la décision de l'ARDP n° 2013-07 du 31 octobre 2013,

AUX MOTIFS QUE « sur la violation du droit de l'Union : qu'à cet égard contrairement à ce qu'affirme à titre préliminaire le SNDP, il ne peut être tiré du seul fait qu'une proposition de loi visant à renforcer les pouvoirs de l'ARDP, a été déposé à l'Assemblée Nationale, qu'il s'agit de remédier à la non-conformité avec le "droit communautaire", du mécanisme de régulation mis en oeuvre en 2011 ; que le SNDP fait valoir que la décision contestée est une illustration de la délégation de pouvoir d'intervention économique, illégalement accordée au CMSP par la loi Bichet modifiée, à défaut de contrôle effectif par l'ARDP ; que se fondant sur une consultation du professeur C..., qui conclut que le dispositif de la loi Bichet modifiée illustre un "abandon des prérogatives de l'État à une entité privée composée exclusivement de représentants des professions concernées, le SNDP soutient que la décision a été prise dans le cadre d'un système de régulation sectorielle non conforme aux exigences des articles 4§3 du TUE et 101 combinés du TFUE, selon lesquels les États membres doivent s'abstenir d'adopter des règles nationales susceptibles de priver d'effet utile les règles de concurrence applicables aux entreprises ; que les États membres ne peuvent retirer à leur "propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention en matière économique" ; qu'il précise que l'État membre ne peut procéder à une délégation de compétence qu'à la condition de conserver un pouvoir de réformation ou de substitution sur...

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