Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 30 novembre 2017, 16-17.686, Publié au bulletin

Presiding JudgeM. Chauvin
ECLIECLI:FR:CCASS:2017:C301208
Case OutcomeCassation partielle
CounselSCP Fabiani,Luc-Thaler et Pinatel,SCP Briard
CitationN1 >Sur l'impartialité d'un expert judiciaire, à rapprocher :2e Civ., 5 décembre 2002, pourvoi n° 01-00.224, Bull. 2002, II, n° 275 (cassation) ;2e Civ., 13 octobre 2005, pourvoi n° 04-10.834, Bull. 2005, II, n° 249 (cassation) ;Soc., 24 janvier 2006, pourvoi n° 04-42.741, Bull. 2006, V, n° 21 (rejet) ;2e Civ., 4 juin 2009, pourvoi n° 08-11.163, Bull. 2009, II, n° 140 (rejet)
Appeal Number31701208
Docket Number16-17686
Subject MatterCONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6, § 1 - Tribunal - Impartialité - Domaine d'application - Expert judiciaire
CourtTroisième Chambre Civile (Cour de Cassation de France)
Date30 novembre 2017
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mars 2016), que, par contrat du 24 mai 2000, la société VR services a concédé à une société, aux droits de laquelle se trouve la société Dukan de Nitya, la jouissance, pour une durée indéterminée, d'un emplacement dans le centre commercial La Vallée Village ; que, le 4 mars 2011, elle a notifié un congé à la société Dukan de Nitya ; qu'après annulation d'une sentence arbitrale du 10 août 2012, complétée le 24 septembre 2012, un arrêt irrévocable du 14 janvier 2014 a requalifié le contrat liant les parties en bail commercial, annulé le congé et, au constat de l'impossibilité de réintégrer la société Dukan de Nitya dans les lieux, ordonné une expertise sur le montant de l'indemnité d'éviction ; qu'après dépôt du rapport de l'expert, la société Dukan de Nitya a sollicité sa réintégration dans les lieux et, subsidiairement, l'annulation de l'expertise et la désignation d'un autre expert, en contestant le montant de l'indemnisation proposé par l'expert ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Dukan de Nitya fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de réintégration au sein du centre commercial La Vallée Village, alors, selon le moyen :

1°/ que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements ont modifié la situation antérieurement reconnue en justice ; que, pour déclarer irrecevable la demande de la société Dukan de Nitya de réintégration dans les lieux, l'arrêt retient que la cour d'appel de Paris a déjà jugé, dans son arrêt du 14 janvier 2014 qui n'a pas été frappé d'un pourvoi sur ce point ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si des événements postérieurs n'étaient pas venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice et, en particulier, si des emplacements ne s'étaient pas libérés au sein de la Vallée Village si bien que la réintégration de la société Dukan de Nitya était devenue possible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1351 du code civil ;

2°/ que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; que, dans ses conclusions d'appel, la société Dukan de Nitya faisait valoir qu'il était possible de demander sa réintégration dans les lieux dès lors que des événements postérieurs tenant à la libération d'emplacements au sein de la Vallée Village avaient modifié la situation antérieurement reconnue en justice ; qu'en ne répondant pas sur ce point aux conclusions de la société Dukan de Nitya, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé qu'un précédent arrêt avait constaté l'impossibilité pour la société Dukan de Nitya de réintégrer le local, objet du bail, et retenu que celle-ci ne pouvait prétendre à aucun droit à réintégration dans un autre emplacement, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante et qui a répondu aux conclusions, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société Dukan de Nitya fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à l'annulation du rapport d'expertise et à l'organisation d'une nouvelle expertise, alors, selon le moyen :

1°/ que le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ; qu'en déboutant la société Dukan de Nitya de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du rapport d'expertise du 20 février 2015, après avoir pourtant constaté que « ni M. X... ni le cabinet HB & Associés ne travaillaient plus pour VR services depuis la fin du mois de février 2013, soit antérieurement à l'arrêt de la cour du 14 janvier 2014 désignant M. Y... », ce dont il résultait que M. X..., trésorier de la fondation Bruno Z... dont l'expert est le président, avait travaillé pour VR services, la cour d'appel a violé l'article 237 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ; qu'en déboutant la société Dukan de Nitya de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du rapport d'expertise du 20 février 2015, motif pris de ce que « ni M. X... ni le cabinet HB & associés ne travaillaient plus pour VR services depuis la fin du mois de février 2013, soit antérieurement à l'arrêt de la cour d'appel du 14 janvier 2014 désignant M. Y... », que si M. Michel A..., professeur à l'université de Rennes, expert judiciaire près cette cour d'appel et expert agréé par la Cour de cassation, estime dans son avis sur le rapport de M. Y... notamment que « l'expert s'est placé pleinement dans la logique du "contrat de services" et n'a fait que conforter la position de VR services qui avait justement cherché à échapper indûment au statut des baux commerciaux en imposant aux commerçants installés dans le "Village" ce type de contrat alors qu'il lui était demandé de s'écarter de cette construction juridique et de chercher à reconstituer la part de loyer intégrée dans la redevance » et s'il considère très surprenante la position de l'expert, indiquant : « Il est préoccupant de constater qu'il est demandé à l'évincé de faire le travail à la place de l'expert sans même lui donner la possibilité matérielle de le faire, puisque rejetant chaque fois les demandes des conseils de Dukan de Nitya de communication de pièces nécessaires pour y parvenir», « il n'en demeure pas moins qu'une telle appréciation ne constitue qu'un avis d'un technicien », bien que de tels motifs étaient impropres à établir que l'avis émis par l'expert ait été objectif, la cour d'appel a violé l'article 237 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ; qu'en se bornant à apprécier isolément les éléments de fait invoqués par la société Dukan de Nitya à l'appui de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du rapport d'expertise sans rechercher si de tels éléments, pris dans leur ensemble et globalement, ne pouvaient pas, du fait de leur conjonction et leur répétition, faire naître un doute légitime sur l'impartialité de l'expert chez la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 237 du code de procédure civile et de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ; qu'il doit solliciter la communication des pièces qui lui sont nécessaires pour accomplir sa mission, sauf empêchement légitime ; que, pour débouter la société Dukan de Nitya de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du rapport d'expertise et la communication de nouveaux documents, l'arrêt retient que si l'expert reconnaît lui-même que sa méthode est arbitraire et son chiffrage imprécis, l'expert a répondu à sa mission en déterminant le montant de l'indemnité d'éviction, retenant à ce titre diverses sommes et en proposant un compte entre les parties ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'empêchement légitime de la communication des pièces sollicitées ni même s'intéresser à leur caractère probant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 11 et 237 du code de procédure civile ;

5°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour débouter la société Dukan de Nitya de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du rapport d'expertise, l'arrêt retient que les parties ont eu connaissance de la méthode de calcul de l'expert par son écrit du 9 décembre 2014 et ont postérieurement adressé un dire à ce dernier, de sorte que le principe de la contradiction n'a pas été violé, peu important l'absence de dépôt d'un pré-rapport ; qu'en statuant ainsi, alors que dans son courrier du 9 décembre 2014, M. Y... lui-même avait indiqué qu'il adresserait début 2015 « un pré-apport conclusif sur lequel [les parties] aur[aient] un mois pour formuler [leurs] observations », la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6°/ que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que, dans ses conclusions récapitulatives d'appel, la société Dukan de Nitya soutenait que le principe de la contradiction n'avait pas été respecté par l'expert judiciaire dans la mesure où il n'avait pas pris en considération les dires n° 7 et 11 de la société Dukan de Nitya chiffrant le droit au bail ; qu'en écartant toute violation du principe de la contradiction sans répondre à ces conclusions de la société Dukan de Nitya, la cour d'appel a violé les articles 455 et 276 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que, lors de la désignation de l'expert, M. X... n'était plus l'avocat de la société VR services depuis près d'un an, la cour d'appel, sans être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée et appréciant souverainement la valeur probante des avis techniques qui lui étaient soumis, a pu en déduire qu'il n'existait aucun manquement de l'expert au principe d'impartialité ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que l'expert avait communiqué son chiffrage provisoire et réclamé un dire récapitulatif qu'il avait reçu des deux parties qui avaient pu répondre à la méthode de calcul proposée et faire valoir leurs observations, la cour d'appel, qui n'était...

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