Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 mars 2019, 17-23.169, Publié au bulletin

Presiding JudgeMme Batut
ECLIECLI:FR:CCASS:2019:C100249
Case OutcomeRejet
CounselSCP Boré,Salve de Bruneton et Mégret,SCP Fabiani,Luc-Thaler et Pinatel
CitationSur la substitution du taux d'intérêt légal en cas de nullité du taux d'intérêt conventionnel d'un prêt d'argent, à rapprocher : 1re Civ., 19 juin 2013, pourvoi n° 12-16.651, Bull. 2013, I, n° 132 (cassation) ; 1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-26.306, Bull. 2016, I, n° 254 (rejet), et les arrêts cités
Appeal Number11900249
Docket Number17-23169
CourtPremière Chambre Civile (Cour de Cassation de France)
Date13 mars 2019
Subject MatterINTERETS - Intérêts conventionnels - Taux - Clause fixant l'intérêt conventionnel - Clause abusive - Sanction - Substitutin du taux de l'intérêt légal PROTECTION DES CONSOMMATEURS - Intérêts - Taux - Clause fixant l'intérêt conventionnel - Clause abusive - Sanction - Substitution du taux de l'intérêt légal
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant offre acceptée le 8 juillet 2008, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Lorraine (la banque) a consenti à la société anonyme à responsabilité limitée LC immobilier (la société), constituée entre N... E... et son épouse, Mme F... E..., ainsi que leurs deux enfants R... et A... E..., un prêt n° [...] portant sur la contre-valeur en francs suisses de la somme de 200 000 euros, remboursable en soixante échéances trimestrielles libellées en francs suisses, ainsi qu'un prêt n° [...] portant sur la contre-valeur en francs suisses de la somme de 380 000 euros, remboursable en soixante échéances trimestrielles libellées en francs suisses ; que, suivant nouvelle offre acceptée le 13 août 2008, la banque a consenti à N... E... et à son épouse, Mme F... E..., un prêt n° [...] portant sur la contre-valeur en francs suisses de la somme de 465 000 euros, remboursable en quarante échéances trimestrielles libellées en francs suisses ; qu'invoquant le caractère ruineux du financement en raison de la dépréciation de l'euro par rapport au franc suisse, les emprunteurs ont assigné la banque en nullité des prêts, subsidiairement en déchéance du droit aux intérêts, ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts ; que le décès de N... E... est survenu en cours d'instance ; que M. A... E... et Mme R... E... sont intervenus volontairement à la procédure en leur qualité d'ayants droit de leur père, aux côtés de Mme F... E... (les consorts E...) ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en ses deux premières branches, qui est préalable :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande relative aux clauses abusives, alors, selon le moyen :

1°/ que l'action visant à faire déclarer non écrite une clause abusive constitue une action en nullité qui se prescrit dans un délai de cinq ans courant à compter du jour où le consommateur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en décidant le contraire, aux motifs erronés que « les clauses réputées non écrites » en application de l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation sont réputées « non avenues par le seul effet de la loi », la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article 1304 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que l'action visant à faire déclarer non écrite une clause abusive constitue une action en nullité qui se prescrit dans un délai de cinq ans courant à compter du jour où le consommateur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, pour débouter la banque de sa fin de non-recevoir fondée sur la prescription de la demande tendant à faire déclarer la stipulation du taux conventionnel abusive et non écrite, l'arrêt retient que « l'intention des emprunteurs n'était pas d'obtenir la nullité des contrats de prêt » ; qu'en statuant par un motif radicalement inopérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses ne s'analysait pas en une demande en nullité, de sorte qu'elle n'était pas soumise à la prescription quinquennale ; que le moyen, inopérant en sa seconde branche en ce qu'il s'attaque à des motifs surabondants, n'est pas fondé en sa première ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que les consorts E... et la société font grief à l'arrêt de dire que la clause de remboursement en devise étrangère du prêt consenti le 13 août 2008 n'est pas abusive, alors, selon le moyen :

1°/ que la clause définissant l'objet principal d'un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur qui n'est pas rédigée de façon claire et compréhensible est abusive ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter le caractère abusif de la clause « d'indexation déguisée » constituant la prestation essentielle du contrat, que le contrat et la notice exposaient de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme en cause ainsi que le risque de change, de sorte que les consommateurs avaient été en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques en découlant pour eux, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les emprunteurs avaient été en mesure de comprendre les incidences concrètes et d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de l'évaluation de leur dette selon les fluctuations du franc suisse, en fonction de mécanismes macro-économiques, des différences structurelles entre les économies suisse et de la zone euro, et des évolutions possibles et probables risquant d'entraîner une hausse de cette devise considérée comme étant une valeur refuge sujette par cette raison à des variations particulières, d'un prêt consenti pour une longue durée, alors qu'ils ne disposaient d'aucun revenu en francs suisses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du code de consommation, devenu l'article L. 212-1 du même code ;

2°/ qu'est abusive la clause objet du contrat qui ne précise pas clairement les conditions dans lesquelles la convention doit être exécutée ; qu'en relevant, pour écarter le moyen par lequel les consorts E... soutenaient que les offres de prêt ne leur permettaient pas de connaître le cours de change appliqué par la banque lors du remboursement des échéances du prêt, que la question du cours de change « ne rele[vait] pas de l'indexation déguisée en cause qui résulte du seul fait que la créance soit fixée en monnaie étrangère dans un contrat de droit interne », quand l'imprécision du taux de change affectait les conditions dans lesquelles le banquier assurait l'exécution par l'emprunteur de son obligation de rembourser le prêt en francs suisses et, partant, la clarté et l'intelligibilité de la clause fixant l'objet du remboursement du prêt dont les conséquences économiques ne pouvaient ainsi pas être appréciées, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation, devenu l'article L. 212-1 du même code ;

Mais attendu, d'abord, qu'après avoir énoncé que l'appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de l'article L. 132-1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible, l'arrêt relève que la clause litigieuse, en ce qu'elle prévoit le remboursement du prêt en francs suisses, définit l'objet principal du contrat ; qu'il constate que cette clause figure dans une offre précisant que le risque de change est intégralement supporté par les emprunteurs, qui reconnaissent avoir été informés du risque particulier lié à ce type de financement par une notice signée par eux, laquelle mentionne que les risques, réels et cumulatifs, de taux et de change, portent sur la totalité du crédit, et contient un paragraphe sur la variabilité du cours de change qui indique que, selon l'orientation de la devise sur le marché des changes par rapport à l'euro, la perte ou le gain éventuels sont intégralement à la charge ou au profit de l'emprunteur, sauf pour celui-ci à solliciter la couverture de ce risque moyennant un coût supplémentaire ; que l'arrêt ajoute que cette notice comporte un exemple chiffré décrivant de manière précise l'effet de l'appréciation de la devise sur la contre-valeur en euros du capital restant dû en francs suisses ; qu'ayant ainsi fait ressortir le caractère clair et compréhensible de la clause litigieuse, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision d'exclure l'application du régime des clauses abusives ;

Attendu, ensuite, qu'ayant relevé que la clause relative aux modalités de fixation du cours de change était distincte de celle prévoyant le remboursement en devise étrangère, la cour d'appel en a exactement déduit que sa rédaction ne pouvait affecter le caractère clair et compréhensible de la clause litigieuse ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen du même pourvoi :

Attendu que les consorts E... et la société font grief à l'arrêt de substituer le taux de l'intérêt légal à celui de l'intérêt conventionnel pour chacun des prêts litigieux, alors, selon le moyen :

1°/ qu'une clause nulle ne peut développer aucun effet ; qu'en substituant le taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel qu'elle jugeait abusif, au motif inopérant que le prêt n'était pas consenti à titre gratuit, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu l'article 1103 du code civil, ensemble l'article 1178 du même code ;

2°/ que le juge ne peut substituer une disposition de droit national à caractère supplétif à une clause abusive que dans l'hypothèse où l'invalidation de la clause abusive entraînerait pour le consommateur des conséquences telles qu'il serait dissuadé d'agir ; qu'en substituant le taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel jugé abusif, sans relever l'existence de telles conséquences néfastes pour le consommateur, la cour d'appel a violé l'article L.132-1 du code de la consommation, devenu l'article L. 212-1 du même code ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la stipulation d'un intérêt caractérisait le contrat de prêt consenti le 13 août 2008, la cour d'appel a fait ressortir l'impossibilité de prévoir sa gratuité sous peine d'entraîner son annulation et d'imposer la restitution immédiate du capital emprunté, ce dont elle a exactement déduit qu'il y avait lieu de substituer le taux de l'intérêt légal à celui de l'intérêt conventionnel, en tant que disposition de droit national à caractère supplétif ; que le...

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