Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 17 avril 2019, 18-13.894, Publié au bulletin

Presiding JudgeMme Batut
ECLIECLI:FR:CCASS:2019:C100376
Case OutcomeRejet
Docket Number18-13894
Appeal Number11900376
Date17 avril 2019
CounselSCP Marlange et de La Burgade,SCP Spinosi et Sureau
CourtPremière Chambre Civile (Cour de Cassation de France)
CitationN1 >N2 >A rapprocher :Crim., 17 juin 2003, pourvoi n° 02-80.719, Bull. crim. 2003, n° 122 (rejet)
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 19 décembre 2017), que par acte du 30 mai 2005, l'association Mouvement international pour les réparations (le MIR) et l'association Conseil mondial de la diaspora panafricaine (le CMDPA) ont assigné l'Etat devant le tribunal de grande instance de Fort-de-France aux fins d'obtenir une expertise pour évaluer le préjudice subi par le peuple martiniquais du fait de la traite négrière et de l'esclavage et une provision destinée à une future fondation ; qu'au regard des préjudices subis personnellement ou en leur qualité d'ayants droit, plusieurs personnes physiques se sont jointes à cette action ;

Sur les première, deuxième et cinquième à huitième branches du premier moyen et le second moyen, ci-après annexés :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches :

Attendu que le MIR fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites les demandes présentées en qualité d'ayants droit par les personnes physiques et de rejeter les autres demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la traite négrière et l'esclavage sont des crimes contre l'humanité, lesquels sont, par nature, imprescriptibles ; qu'en jugeant irrecevables comme prescrites les demandes présentées par les ayants droit d'esclaves, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 21 mai 2001, ensemble les articles 213-4 et 213-5 du code pénal, l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 et l'article 2262 du code civil, dans sa version antérieure à la loi du 17 juin 2008 ;

2°/ que, justifié par une exigence de sécurité juridique et de protection de la liberté individuelle, le principe de non-rétroactivité de la loi ne saurait être appliqué au bénéfice d'auteurs de crimes contre l'humanité ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil ensemble les articles 213-4 et 213-5 du code pénal, l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils ;

Mais attendu que l'arrêt retient, à bon droit, que les articles 211-1 et 212-1 du code pénal, réprimant les crimes contre l'humanité, sont entrés en vigueur le 1er mars 1994 et ne peuvent s'appliquer aux faits antérieurs à cette date, en raison des principes de légalité des délits et des peines et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ;

Et attendu qu'après avoir énoncé que la loi du 21 mai 2001 n'avait apporté aucune atténuation à ces principes et que l'action sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, de nature à engager la responsabilité de l'Etat indépendamment de toute qualification pénale des faits, était soumise à la fois à la prescription de l'ancien article 2262 du même code et à la déchéance des créances contre l'Etat prévue à l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831, devenu l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, la cour d'appel a exactement décidé que cette action, en tant qu'elle portait sur des faits ayant pris fin en 1848 et malgré la suspension de la prescription jusqu'au jour où les victimes, ou leurs ayants droit, ont été en mesure d'agir, était prescrite en l'absence de démonstration d'un empêchement qui se serait prolongé durant plus de cent ans ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept avril deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour l'association Mouvement international pour les réparations

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes des appelants personnes physiques pour leurs demandes présentées en qualité d'ayants droits et, statuant à nouveau de ce chef, d'avoir déclaré irrecevables comme prescrites les demandes présentées en qualité d'ayants droit ;

Aux motifs propres que « 1. Les demandeurs exercent, devant la juridiction civile, une action en responsabilité à l'encontre de l'Etat français en raison des préjudices subis du fait de la traite négrière transatlantique et de l'esclavage dont ont été victimes leurs ancêtres.

2. L'Etat royal est l'auteur de l'édit de mars 1685 dit code noir, enregistré au conseil souverain de la Martinique le 6 août 1685, qui entérine et réglemente la pratique de l'esclavage dans les îles françaises d'Amérique. Par le décret du 16 pluviôse an Il (4 février 1794), la Convention nationale a déclaré que "L'esclavage des Nègres, dans toutes les colonies, est aboli ". Revenant sur cette abolition, le décret du Corps législatif proclamé loi par le premier consul en date du 30 floréal an X (20 mai 1802) disposait que "Dans les colonies restituées à la France en exécution du traite d'Amiens, du 6 germinal an X, l'esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789" (article 1er) et que "La traite des noirs et leur importation dans les dites colonies, auront lieu, conformément aux lois et règlements existants avant ladite époque de 1789" (article 3). L'ensemble de ces textes concernent le territoire de la Martinique, où l'abolition n'est de fait pas entrée en application.

La traite a été interdite par la loi du 4 mars 1818 dont l'article unique énonce que "Toute part quelconque qui serait prise par des sujets et des navires français en quelque lieu, sous quelque condition et prétexte que ce soit, et par des individus étrangers dans les pays soumis à la domination française, au trafic connu sous le nom de traite des noirs, sera punie par la confiscation du navire et de la cargaison, et par l'interdiction du capitaine, s'il est Français". Elle a été confirmée et assortie de sanctions pénales par la loi du 4 mars 1831.

L'esclavage a quant à lui été définitivement aboli par le décret du gouvernement provisoire de la République française du 27 avril 1848 qui énonce en son article 1" "L'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d'elles. A partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront interdits". En Martinique, l'abolition a effectivement été proclamée le 23 mai 1848.

3. Les faits et actes en cause, tels qu'ils sont dénoncés par les demandeurs appelants, ont donc été commis antérieurement au 24 mai 1848 et le droit à réparation a pris naissance au lendemain de l'abolition de l'esclavage pour ceux qui en avaient été victimes.

Une action en responsabilité ayant pour fondement l'article 1382 du code civil, invoqué par les appelants, était susceptible d'être engagée à cette date indépendamment de toute qualification pénale des faits, le législateur de 1848 affirmant "que l'esclavage est un attentat...

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