Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 10 octobre 2019, 17-28.862, Publié au bulletin

Presiding JudgeM. Chauvin
ECLIECLI:FR:CCASS:2019:C300799
Case OutcomeCassation
Date10 octobre 2019
Appeal Number31900799
Docket Number17-28862
CounselSCP Garreau,Bauer-Violas et Feschotte-Desbois,SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
CourtTroisième Chambre Civile (Cour de Cassation de France)
Subject MatterBAIL RURAL - Bail à métayage - Conversion - Atteinte au droit au respect des biens du bailleur - Proportionnalité - Recherche nécessaire
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Dijon,5 octobre 2017), que, par acte du 12 janvier 1995, l'exploitation agricole à responsabilité limitée Domaine de la Choupette U... fils (l'EARL) a pris à bail à métayage, à effet du 11 novembre 1994, des parcelles de vignes appartenant au groupement foncier agricole GFV Famille Y... (le GFA) ; que, par acte du 19 novembre 2014, le preneur a notifié au bailleur une demande de conversion du bail à métayage en bail à ferme ; que, par déclaration du 17 décembre 2014, il a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux à cette fin et en fixation du fermage ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que, la Cour de cassation ayant, par arrêt du 28 juin 2018, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, le moyen est sans portée ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal, ci-après annexé :

Attendu que le GFA fait grief à l'arrêt d'ordonner la conversion ;

Mais attendu que le GFA ne démontre pas en quoi les principes généraux reconnus par le droit de l'Union européenne seraient méconnus, à défaut d'établir la condition d'extranéité nécessaire à l'application des dispositions invoquées ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 417-11 du code rural et de la pêche maritime ;

Attendu que, pour ordonner la conversion en bail à ferme, l'arrêt retient que les dispositions du statut du fermage et du métayage n'ont pas pour effet de priver le bailleur de son droit de propriété, mais apportent seulement des limitations à son droit d'usage ; que l'ingérence qu'elles constituent est prévue par la loi, à savoir les dispositions pertinentes du code rural ; qu'en ce qui concerne le but poursuivi, le législateur national dispose d'une grande latitude pour mener une politique économique et sociale et concevoir les impératifs de l'utilité publique ou de l'intérêt général, sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable ; que la conversion du bail à métayage est fondée sur l'objectif d'intérêt général tendant à privilégier la mise en valeur directe des terres agricoles et spécialement à donner à l'exploitant la pleine responsabilité de la conduite de son exploitation ; que, s'il est exact que le paiement d'un fermage, dont le montant est encadré par la loi, peut apporter au bailleur des ressources moindres que la part de récolte stipulée au bail à métayage, la conversion en bail à ferme n'est cependant pas dépourvue de tempéraments et de contreparties, de sorte qu'un juste équilibre se trouve ménagé entre les exigences raisonnables de l'intérêt général et la protection du droit au respect des biens du bailleur, les limitations apportées au droit d'usage de ce dernier n'étant pas disproportionnées au regard du but légitime poursuivi ;

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher concrètement, comme il le lui était demandé, si la conversion du métayage en fermage, en ce qu'elle privait le GFA de la perception en nature des fruits de la parcelle louée et en ce qu'elle était dépourvue de tout système effectif d'indemnisation, ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de ses biens au regard du but légitime poursuivi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen unique du pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la société Domaine de la Choupette-U... fils aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Domaine de la Choupette-U... fils et la condamne à payer au groupement foncier agricole GFV Famille Y... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour le groupement foncier agricole GFV Famille Y..., demandeur au pourvoi principal

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR ordonné la conversion du bail à métayage en bail à ferme pour les parcelles sises commune de [...] ci-après désignées : [...] "Les Houlières" pour une contenance de 56a 50ca, [...] "Voitte" pour une contenance de 6a 58ca, [...] "La Garenne" ou "Sur la Garenne" pour une contenance de 13a 38ca, [...] "Les Prés de la Dame" pour une contenance de 27a 70ca, [...] "Les Prés de la Dame" pour une contenance de 12a 21ca, d'AVOIR dit que le prix de fermage sera payable en espèces à moins d'un autre accord entre les parties, d'AVOIR dit que la conversion du bail à métayage en bail à fermage a pris effet le 1er novembre 2016, d'AVOIR dit que le GFA GFV Famille Y... a droit pour l'année culturale qui s'est achevée le 31 octobre 2016, à la part de récolte fixée par la bail à métayage, à régler en espèces et d'AVOIR renvoyé la cause et les parties devant le tribunal paritaire pour fixer la valeur de cette part de récolte, faire le compte entre les parties et fixer le prix du fermage à compter du 1er novembre 2016.

AUX MOTIFS QUE Sur la conversion du bail ; que selon l'article L. 417-11 du code rural et de la pêche maritime, tout bail à métayage peut être converti en bail à ferme à l'expiration de chaque année culturale à partir de la troisième année du bail initial, si le propriétaire ou le preneur en a fait la demande au moins douze mois auparavant ; que ce texte prévoit la conversion, sur décision du tribunal paritaire, soit dans quatre cas définis, soit lorsque la demande sera faite par le métayer en place depuis huit ans et plus ; que cette dernière situation est celle de l'Earl Domaine de la Choupette U... Fils ; que le Gfa Gfv Famille Y... soutient que l'impossibilité de s'opposer à la demande faite, comme en l'espèce, par le métayer en place depuis huit ans et plus est contraire : - d'une part à des droits reconnus par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (Cedh) : droit au respect de la vie privée, droit au respect des biens, droit à la non-discrimination, droit au recours effectif à un juge ; - d'autre part au droit communautaire : liberté d'exercer une activité économique, égalité et nondiscrimination ; que l'article 9 du bail à métayage litigieux, relatif à la conversion en bail à ferme, se borne à rappeler les dispositions légales relatives à cette matière et ne contient pas d'engagement contractuel susceptible de tenir lieu de loi entre les parties au sens de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction alors applicable ; Sur le droit au respect de la vie privée et la liberté d'exercer une activité économique ; que la dimension professionnelle de l'existence peut faire partie du droit à la vie privée dont l'article 8 § 1 de la Cedh garantit le respect ; que cependant, en l'espèce, le bailleur est non une ou plusieurs personnes physiques, mais une personne morale qui n'exerce pas, par elle-même, une profession ; que selon les articles L. 322-1 et L. 322-6 du code rural et de la pèche maritime, le groupement foncier agricole est une société civile formée entre personnes physiques qui a pour objet soit la création ou la conservation d'une ou plusieurs exploitations agricoles, dont il assure ou facilite la gestion des exploitations dont il est propriétaire, notamment en les donnant en location ; qu'il ressort du bail à métayage en cause que le bailleur ne participe en rien à l'exploitation des vignes, que le seul preneur est chargé de cultiver, labourer, fumer, façonner, sulfater, tailler, récolter, le bailleur ne s'engageant qu'à prendre en charge les frais d'arrachage et de replantation en cas de replantation ou de plantation nouvelle ; que l'assujettissement personnel du bailleur et du métayer à l'impôt sur le revenu pour la part de revenu imposable revenant à chacun d'eux proportionnellement à leur participation dans les bénéfices ou dans les produits, tel qu'il résulte de l'article 77 du code général des impôts, ne change rien à cette situation ; qu'aucune justification n'est produite au sujet du patrimoine du Gfa appelant dont on ignore s'il est propriétaire d'autres biens ruraux que ceux qui font l'objet du présent litige ; qu'il n'est donc pas prouvé que la conversion sollicite aurait pour conséquence de modifier son activité ; en outre que le Gfa appelant ne démontre pas davantage que cette conversion aurait des répercussions sur la situation de ses membres dont il ne justifie ni de l'identité, ni de la situation professionnelle, ni du statut au regard de la sécurité sociale ; que la cour ne peut pas présumer ni que la qualité de membre du Gfa leur confère la qualité de professionnel de l'agriculture, ni que la conversion les priverait de couverture sociale ; qu'au regard de l'impôt annuel de solidarité sur la fortune, dont ne sont redevables, selon l'article 885 A du code général des impôts, que les personnes physiques propriétaires de biens dont la valeur est supérieure à 1.300.000 euros, rien n'établit que les membres du Gfa, dont on ignore la consistance du patrimoine, y seraient soumis en raison de la conversion ; que d'ailleurs il ne ressort pas de l'article 885 Q du même code, eu égard à la durée du bail, que leurs parts dans le Gfa perdraient la qualité de biens...

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