Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 26 février 2020, 18-26.256, Publié au bulletin

Presiding JudgeMme Batut
ECLIECLI:FR:CCASS:2020:C100147
CitationN2 >Sur la nécessité de démontrer l'existence d'une faute pour engager la responsabilité des professionnels de santé et des établissements de santé privés au titre des produits de santé utilisés ou fournis, à rapprocher : 1re Civ., 12 juillet 2012, pourvoi n° 11-17.510, Bull. 2012, I, n° 165 (cassation partielle sans renvoi) ;1re Civ., 14 novembre 2018, pourvois n° 17-28.529 et 17-27.980, Bull. 2018, I, n° ??? (cassation partielle)
Case OutcomeRejet
Appeal Number12000147
Date26 février 2020
CounselSCP Boré,Salve de Bruneton et Mégret,SCP Ricard,Bendel-Vasseur,Ghnassia
CourtPremière Chambre Civile (Cour de Cassation de France)
Docket Number18-26256
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 février 2020




Rejet


Mme BATUT, président



Arrêt n° 147 FS-P+B

Pourvoi n° M 18-26.256









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 FÉVRIER 2020

La société R... France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° M 18-26.256 contre l'arrêt rendu le 4 octobre 2018 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. I... H..., domicilié [...],

2°/ à M. Y... E..., domicilié [...],

3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines, dont le siège est [...],

défendeurs à la cassation.

M. H... a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Duval-Arnould, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société R... France, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. H..., et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Duval-Arnould, conseiller rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, M. Girardet, Mme Teiller, MM. Avel, Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Guihal, conseillers, Mme Canas, M. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, M. Serrier, Mmes Champ, Comte, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 octobre 2018), après la pose de prothèses de hanche droite et gauche, réalisée respectivement les 15 octobre 2004 et 4 mai 2005 par M. E... (le chirurgien), M. H... a, le 19 mars 2007, été victime d'une chute due à un dérobement de sa jambe droite, consécutif à une rupture de sa prothèse de hanche droite. Le chirurgien a, alors, procédé au changement de la tige fémorale de la prothèse.

2. Après avoir sollicité une expertise en référé, M. H..., qui a conservé des séquelles de sa chute, a assigné en responsabilité et indemnisation le chirurgien et la société R... France (le producteur), ayant fourni la prothèse litigieuse à ce dernier, et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. Le producteur fait grief à l'arrêt de le déclarer entièrement responsable du préjudice causé à M. H... par la rupture de sa prothèse et de le condamner à lui payer différentes sommes, alors :

« 1°/ qu'il appartient au demandeur en réparation du dommage causé par un produit qu'il estime défectueux de prouver le défaut invoqué ; que la simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne suffit pas à établir son défaut ; que, pour retenir que la prothèse de hanche était affectée d'un défaut, la cour d'appel a relevé que la fracture de la prothèse était antérieure à la chute de M. H... qu'elle avait provoquée, que les choix du médecin sur la nature et les dimensions des éléments de la prothèse et les opérations techniques de pose n'étaient pas critiquables, qu'il n'existait pas de lien de causalité entre le surpoids du patient et la fracture et que le point de fracture se situait dans la zone de faiblesse de toute prothèse de hanche, à sa base ; qu'en se fondant sur des éléments impropres à caractériser un défaut de la prothèse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1386-4 et 1386-9, devenus les articles 1245-3 et 1245-8 du code civil ;

2°/ que l'expert judiciaire a relevé qu'outre les fractures de prothèses de hanche liées à des défauts de conception ou de fabrication de la prothèse, "il existe des fractures sans cause précise retrouvée soit par impossibilité d'analyse de l'explant ou parce que cette analyse reste négative" ; qu'il a constaté qu'en l'espèce, aucune anomalie de conception n'a été retrouvée, au regard de l'absence d'alerte sanitaire et de la conformité des tests pratiqués et que le défaut d'analyse de l'explant ne permettait "pas de proposer une explication certaine à la survenue de cette fracture" ; qu'il a ajouté que "toutes les prothèses de hanche pouva[ie]nt présenter un taux faible de fracture « spontanée »", sans que cela ne remette en cause « la fiabilité du type de prothèse posée » observant que le taux d'accident relatif à la prothèse litigieuse était « totalement conforme aux taux publiés de rupture d'implants dans la littérature hors problème spécifique de conception ou fabrication » ; qu'il a conclu que la cause de la fracture de fatigue de la prothèse ne pouvait « être caractérisée de façon certaine » et devait être considérée « comme un aléa évolutif lié à la prothèse en elle-même » ; que le producteur s'est appuyé sur les conclusions de l'expert pour soutenir que la preuve d'un défaut de la prothèse n'était pas rapportée ; qu'en déduisant cependant des constats de l'expert judiciaire que la rupture de la tige fémorale ne pouvait être due qu'à un défaut, sans s'expliquer sur les observations de cet expert excluant toute certitude et évoquant d'autres causes, la cour d'appel n'a pas suffisamment justifié sa décision, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que l'expert judiciaire a retenu que l'obésité était « une cause de surcharge de la prothèse », « un facteur associé, entraînant une sur-sollicitation de l'implant », « un facteur aggravant du risque de présenter une fracture », mais que « la littérature ne permet pas de chiffrer de façon certaine cette part », l'obésité ne constituant pas « la cause immédiate et unique de [la] fracture » ; qu'en retenant cependant que l'expert avait « exclu tout lien de causalité entre le surpoids du patient et la fracture », la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise judiciaire, violant ainsi le principe de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°/ que la cour d'appel a retenu que l'expert avait « exclu tout lien de causalité entre le surpoids du patient et la fracture » et que cette constatation n'était remise « en cause par aucune des parties » ; qu'en statuant ainsi, bien que le producteur ait fait valoir « que le lien est connu et souvent déterminant entre le poids du patient et la rupture de fatigue de l'implant » et que « ce risque doit être normalement indiqué au patient par le chirurgien car il est connu de tous dans la littérature scientifique », la cour d'appel a dénaturé les conclusions du producteur et violé en conséquence l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt retient, en se fondant sur les constatations de l'expert, que la rupture de la prothèse a provoqué la chute de M. H..., que cette rupture n'est pas imputable au surpoids de ce dernier, qu'aucune erreur n'a été commise dans le choix et la conception de la prothèse ni lors de sa pose et que le point de fracture se situe à la base, dans la zone de faiblesse de toute prothèse de hanche. Il ajoute que la tige fémorale posée le 15 octobre 2004 ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre.

5. De ces constatations et énonciations souveraines ne procédant pas de dénaturations, la cour d'appel, qui n'était pas liée par les conclusions expertales, a pu déduire que la rupture prématurée de la prothèse était due à sa défectuosité, de sorte que se trouve engagée la responsabilité de droit du producteur à l'égard de M. H....

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur les deuxième et troisième moyens du même pourvoi, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. M. H... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'égard du chirurgien, alors « que la responsabilité d'un médecin est encourue de plein droit en raison du défaut d'un produit de santé qu'il implante à son patient ; qu'en jugeant que la responsabilité du chirurgien, qui a implanté à M. H... une prothèse de hanche défectueuse, ne pouvait être engagée à son profit qu'en cas de faute de sa part, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1, I, alinéa 1, du code de la santé publique. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article L. 1142-1, alinéa 1, du code de la santé publique, issu de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, les professionnels de santé et les établissements dans lesquels sont diligentés des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de tels actes qu'en cas de faute, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé.

10. Cette exception au principe d'une responsabilité pour faute est liée au régime de responsabilité du fait des produits défectueux instauré par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 ayant transposé aux articles 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1247 du code civil, la directive CEE n° 85/374 du 25 juillet 1985 qui, tout en prévoyant une responsabilité de droit du producteur au titre du défaut du produit, avait initialement étendu cette responsabilité au fournisseur professionnel. Mais à l'issue de décisions de la...

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