Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 décembre 2020, 18-23.966, Publié au bulletin

Presiding JudgeMme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président)
ECLIECLI:FR:CCASS:2020:SO01203
Case OutcomeCassation partielle
Subject MatterCONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Responsabilité - Faute - Attitude de l'employeur - Licenciement prononcé dans des conditions abusives ou vexatoires - Effet
CitationSur la réparation du préjudice distinct causé par les circonstances vexatoires du licenciement, à rapprocher : Soc., 19 juillet 2000, pourvoi n° 98-44.025, Bull. civ. 2000, V, n° 306 (cassation partielle) ; Soc., 25 février 2003, pourvoi n° 00-42.031, Bull. 2003, V, n° 66 (cassation partielle).
Docket Number18-23966
Date16 décembre 2020
CounselSCP Lyon-Caen et Thiriez,SCP Waquet,Farge et Hazan
Appeal Number52001203
CourtChambre Sociale (Cour de Cassation de France)
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 décembre 2020




Cassation partielle


Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1203 F-P+B+I

Pourvoi n° X 18-23.966




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 DÉCEMBRE 2020

M. W... Y..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° X 18-23.966 contre l'arrêt rendu le 31 août 2018 par la cour d'appel de Rennes (8e chambre prud homale), dans le litige l'opposant à la société Altercafé, société à responsabilité limitée, dont le siège est 13 rue Desaix, 44000 Nantes, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les six moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. Y..., de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Altercafé, et après débats en l'audience publique du 3 novembre 2020 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, M. Le Corre, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 31 août 2018), M. Y... a été engagé à compter du 1er janvier 2010 par la société Altercafé en qualité de serveur, puis de responsable de bar.

2. Le 26 septembre 2016, le salarié a été licencié pour faute grave.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième à sixième moyens, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour rupture du contrat de travail dans des conditions vexatoires, alors « que, même lorsqu'il est prononcé en raison d'une faute grave du salarié, le licenciement peut causer au salarié en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné un préjudice dont il est fondé à demander réparation ; qu'en l'espèce, après avoir considéré que les faits qu'elle a examinés constituaient un manquement flagrant à ses obligations contractuelles, notamment de loyauté, et que leur gravité justifiait la rupture immédiate du contrat de travail et décidé que M. Y... devait être débouté de ses demandes, la cour d'appel en a également conclu que le salarié devait être débouté de la demande de dommages-intérêts pour rupture du contrat dans des conditions vexatoires ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier si, comme il était soutenu par le salarié, le licenciement n'avait pas été entouré de circonstances vexatoires tenant au fait pour l'employeur de s'être répandu en public sur les motifs du licenciement du salarié, en prétendant qu'il prenait de la drogue et qu'il était un voleur, de nature à lui causer un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction alors applicable. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Même lorsqu'il est justifié par une faute grave du salarié, le licenciement peut causer à celui-ci, en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice dont il est fondé à demander réparation.

6. Après avoir dit le licenciement fondé sur une faute grave du salarié, la cour d'appel a rejeté la demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire en réparation du préjudice moral causé par les circonstances de la rupture.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le licenciement n'avait pas été entouré de circonstances vexatoires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, l'arrêt rendu le 31 août 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;

Condamne la société Altercafé aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Altercafé et la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. Y...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de M. Y... pour faute grave était fondé et de l'AVOIR débouté de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné à payer à la société ALTERCAFÉ une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile

AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué,

«Sur le bien fondé du licenciement pour faute grave

Le licenciement de M. Y... pour faute grave est motivé par deux séries de faits, d'une part, avoir prélevé pour son compte personnel des espèces, des marchandises et des matériels de la société, d'autre part, avoir consommé régulièrement des stupéfiants sur le lieu de travail, faits constituant selon l'employeur un manquement à l'obligation de loyauté qu'il était en droit d'attendre d'un responsable, de surcroît associé.
Il convient d'examiner si les faits sont avérés, dans l'affirmative, s'ils étaient d'une gravité telle que le maintien du salarié dans l'entreprise était impossible, la charge de la preuve incombant à l'employeur.

Sur la réalité des faits

Sur les prélèvements en espèces

En premier lieu, il est indiqué dans la lettre de licenciement que M. Y... a été vu sur la vidéo-surveillance en train de prélever des billets, des pièces et des tickets-restaurant dans la caisse enregistreuse le 24 juillet 2016 avec la description du mode opératoire : ceux-ci étaient déposés dans la pannière posée sur son plateau et recouverte par le linge servant à nettoyer les tables, puis complétés par les sommes remises par les clients au cours du service, rien n'étant remis dans la caisse à la fin du service.

Aucune photographie n'a été extraite de la vidéo-surveillance mais les faits sont reconnus. Mme B..., étudiante, précise les avoir signalés à l'employeur fin août et les relate de manière détaillée dans son attestation.
Il résulte également du dossier de l'employeur que :
- Mme B... précise que M. Y... lui demandait régulièrement de ne pas taper les shooters, qu'il annonçait les commandes à voix haute au lieu de poser les tickets de caissse comme les autres serveurs, qu'il lui avait demandé d'ouvrir une bouteille de cachaça au motif que l'automatique ne fonctionnait pas et que la machine à bière était toujours en manuel ;
- Mme C..., barmaid, indique que M. Y... demandait souvent de ne pas taper les consommations, qu'elle l'avait vu plusieurs fois aller dans la réserve derrière le bar avec des tickets-restaurants ou des billets, précisant "souvent la caisse était vide malgré le monde", qu'il lui arrivait régulièrement de prendre une grosse liasse de billets et de partir en disant qu'il allait faire de la monnaie et de revenir avec presque rien ou de ne pas revenir ;
- M. N..., magasinier, déclare : "Nous avions la consigne, une à deux personnes par staff, de ne pas enregistrer sur la caisse certaines consommations comme la bière (le système pouvait basculer en mode manuel et donc plus obligés de valider la commande via la caisse pour pouvoir servir le client) et donc nous notions sur un papier le nombre servi, idem pour certains plats cuisinés à proposer comme les croque-monsieur, non vérifiables entre le stock fait et le stock vendu. Ledit papier était donc chiffré en fonction des consos non tapées et la somme était certainement défalquée de la caisse en liquide sinon M. Q... aurait certainement retrouvé le lendemain matin un excédent non négligeable. La justification était qu'il fallait faire du black pour payer les personnes employées ponctuellement pour pallier à une recrudescence d'activités sur des gros week-ends de beau temps et aussi de grosse soirées" ; il poursuit en indiquant qu'il avait été embauché pour remplacer M. Y... pendant ses congés de l'été 2013 et que ce dernier lui avait téléphoné pour lui demander s'il avait bien fait les 100 €/200 € de black par jour "afin qu'il passe récupérer les 2000 à 2500 € à son retour" ; il conclut en disant qu'il avait arrêté de travailler à l'Altercafé car il y avait trop de malhonnêteté du duo Y... M... ;
- d'après les attestations de l'expert-comptable de la société, le taux moyen des espèces sur le chiffre d'affaires était de 10 % entre janvier et juillet 2016, de 26 % entre août et décembre 2016 et de 25 % de janvier à juin 2017, la marge sur ventes était de, respectivement, 69 %, 75 % et 77 % pour chacune de ces trois périodes ; quant au chiffre d'affaires, il est passé de 306 558 € de janvier à juin 2016 à 425 520 € pour la même...

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