Cour d'appel de Versailles, du 10 septembre 1998, 1996-7640

Docket Number1996-7640
Date10 septembre 1998
CourtCourt of Appeal of Versailles (France)
Une loterie intitulée "la symphonie des foulards" et une autre intitulée "l'envol des foulards" ont été organisées, respectivement du 15 mars au 16 mai 1994 et du 1er avril au 1er juin 1994, par la société LA REDOUTE CATALOGUE, au profit de ses clients qui pouvaient gagner, à la suite d'un tirage au sort, différents foulards portant les marques suivantes : HERMES, YVES SAINT-LAURENT, LANVIN, GUY LAROCHE, BALMAIN, TORRENTE, et enfin CARTIER.
Par jugement rendu le 25 juin 1996, le tribunal de grande instance de VERSAILLES, statuant sur l'action en contrefaçon de marques et en responsabilité introduite par les sociétés CARTIER et CARTIER INTERNATIONAL BV à l'encontre de la société anonyme LA REDOUTE CATALOGUE, les a déclarées bien fondées en leur demande en usage illicite de la marque CARTIER, a condamné la société LA REDOUTE CATALOGUE à leur payer la somme de 100.000,00 frs à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'atteinte portée à la marque, a interdit à la société LA REDOUTE CATALOGUE tout usage des marques CARTIER sous quelque forme que ce soit sous peine d'astreinte de 10.000,00 frs par infraction constatée, et a ordonné la publication des motifs et du dispositif de la décision sur toute la page 3 du catalogue de LA REDOUTE, avec exécution provisoire des mesures d'interdiction et de publication.
Le tribunal a essentiellement retenu que "si le propriétaire d'une marque ne peut pas s'opposer à ce que cette marque soit utilisée pour la commercialisation de ses produits, il est parfaitement fondé à s'opposer à tout usage abusif qui n'entrerait pas dans ce cadre", et que, "en fait, la société LA REDOUTE CATALOGUE s'est rendue coupable
d'un détournement d'usage de marque parfaitement illicite dans le but de promouvoir ses propres produits".
Sur l'appel formé par la société LA REDOUTE CATALOGUE, la cour s'est d'abord trouvée saisie, en l'état des conclusions des parties, de la seule question du renvoi de l'affaire devant la cour d'appel de PARIS au motif, allégué par l'appelante, de la connexité existant avec les appels pendants devant cette juridiction et interjetés à l'encontre de deux jugements du tribunal de grande instance de PARIS dans des instances ayant opposé la société LA REDOUTE CATALOGUE respectivement aux sociétés Guy LAROCHE, Jeanne LANVIN, Pierre BALMAIN et Yves SAINT-LAURENT, et à la société HERMES. La société LA REDOUTE CATALOGUE, appelante, indiquait alors que les trois jugements évoqués l'ont condamnée sur le fondement d'un usage illicite de marque à raison des concours ou loteries, intitulés "la symphonie des foulards" et "l'envol des foulards", qu'elle avait organisés, dont les sept premiers prix étaient constitués des foulards de marques prestigieuses. Elle se disait fondée à soulever une exception de litispendance en raison des liens de connexité existant entre les différentes affaires compte tenu de l'identité des faits et des problèmes juridiques posés.
Par arrêt rendu le 12 février 1998, la cour de céans a rejeté les exceptions de litispendance et de connexité soulevées par la société LA REDOUTE, et a enjoint aux parties de conclure au fond.
Par conclusions récapitulatives signifiées le 21 avril 1998, puis, en
dernier lieu, le 9 juin 1998, la société LA REDOUTE FRANCE, venant aux droits de la société LA REDOUTE CATALOGUE, invoque l'irrecevabilité des demandes des sociétés CARTIER, sur le fondement des articles 9 et 15 du NCPC, et de l'article 10 du code civil, en ce que les sociétés demanderesses ont procédé à un exposé lapidaire de leurs moyens et prétentions, et ont refusé de communiquer les éléments qui leur avaient été demandés par son conseil, propres à établir la qualité et la notoriété des foulards CARTIER et la participation de ces sociétés à d'autres concours. Elle invoque également la violation par le tribunal des articles L 121-36 et L 121-37 du code de la consommation en ce qu'il a dit que la réglementation des loteries n'imposait pas la reproduction des marques des produits constituant les lots mais simplement leur identification, alors que l'application combinée de ces textes contraint l'organisateur d'une loterie à identifier de façon précise et lisible les lots mis en jeu afin d'éviter toute confusion dans l'esprit du public. Elle fait valoir qu'en opérant une distinction entre l'utilisation commerciale et l'utilisation publicitaire d'une marque, le tribunal a méconnu les dispositions de l'article L 713-4 du code de la propriété intellectuelle, selon lequel le propriétaire d'une marque ne peut invoquer la protection dont il bénéficie à ce titre pour empêcher la diffusion de son produit par un tiers, que ce soit à des fins commerciales ou publicitaires. Elle ajoute que, tant au regard des articles L 713-2 et L 713-4 du code de la propriété intellectuelle d'interprétation stricte qu'en considération de l'arrêt DIOR c/ EVORA de la Cour de Justice des Communautés, en date du 4 novembre 1997, elle était en droit d'utiliser la marque CARTIER, même si elle ne commercialisait pas les produits CARTIER, la présentation des foulards portant cette marque sur les prospectus incriminés n'étant en rien dénigrante. Elle en déduit que le tribunal

a violé l'article L 713-4 du code de la propriété intellectuelle et les articles 5 et 7 de la première directive du 21 décembre 1988. Elle indique aussi que le concours incriminé ne vise pas à tromper le consommateur. Elle invoque l'inapplicabilité de l'article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle, en relevant que les marques des sociétés CARTIER sont des marques de barrage dont les dépôts sont abusifs, et donc nuls, et qui sont inexploitées, et donc frappées de déchéance pour non-usage. Elle conteste avoir utilisé la marque CARTIER pour promouvoir, sous cette marque, d'autres produits que ceux habituellement commercialisés par les sociétés CARTIER, et soutient que celles-ci, qui ont épuisé leur droit de marques, ne sont pas fondées à limiter l'usage qu'elle peut faire des foulards qu'elle a régulièrement acquis pour les offrir en cadeaux d'une loterie. Elle précise que, à la différence de la situation en matière de droits d'auteur, aucun texte ne confère un droit de destination aux titulaires de marques, et que, au contraire, la Cour de Justice des Communautés a admis que l'épuisement des droits s'entend "propter rem" en sorte qu'il est applicable à la publicité, ajoutant que les sociétés CARTIER s'arrogent indûment un droit de suite quant à l'utilisation de leurs produits, dont, en l'occurence, il a été fait un usage conforme à leur destination. En raison de son droit de propriété sur les foulards, elle prétend pouvoir en faire l'usage qu'elle entend, et revendique une garantie d'éviction, en ajoutant que les sociétés CARTIER ne peuvent s'opposer à son droit d'accession sur les marques incorporées aux foulards, dont elle fait une utilisation licite et non dénigrante. Elle expose que le tribunal a omis de satisfaire sa demande conservatoire tendant à interdire aux sociétés CARTIER d'utiliser leurs produits comme primes ou cadeaux, et ce faisant, leur a permis de se livrer à des pratiques discriminatoires à l'égard de ses concurrents. Elle fait valoir

qu'aucun élément ne permet une évaluation du préjudice allégué par les sociétés CARTIER, lesquelles ne sont pas fondées à alléguer deux préjudices distincts...

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