CAA de BORDEAUX, 6ème chambre - formation à 3, 09/05/2017, 15BX01032, Inédit au recueil Lebon

Presiding JudgeM. LARROUMEC
Record NumberCETATEXT000034723438
Date09 mai 2017
Judgement Number15BX01032
CounselCABINET JORION AVOCATS
CourtCour administrative d'appel de Bordeaux (Cours Administrative d'Appel de France)
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de Mayotte a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler la décision par laquelle le premier ministre a implicitement rejeté sa demande du 29 mars 2012 tendant à ce que l'Etat lui verse la somme de 22 851 441,44 euros au titre des dépenses liées à la justice cadiale que la collectivité départementale a supportées de 2004 à 2013 et de condamner l'Etat à verser cette somme, à parfaire, assortie des intérêts et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1300503 en date du 19 février 2015, le tribunal administratif de Mayotte a condamné l'Etat à verser au département de Mayotte la somme de 500 000 euros à ce titre, assortie des intérêts aux taux légal à compter du 4 mai 2012 et de la capitalisation de ces intérêts le 6 juin 2013 et à chaque échéance anniversaire suivante, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au département au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 27 mars et 6 mai 2015, et 10 février et 22 mars 2016, le département de Mayotte, représenté par MeA..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 19 février 2015 du tribunal administratif de Mayotte en tant qu'il a limité le montant de la condamnation due par l'Etat à la somme de 500 000 euros ;

2°) d'annuler la décision implicite de refus susmentionnée ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 415 299,26 euros, le cas échéant actualisée, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

4°) à titre subsidiaire, de désigner un expert afin d'évaluer le coût, entre 2004 et aujourd'hui, pour le conseil général de Mayotte du fonctionnement de l'institution cadiale ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- c'est à tort que la prescription quadriennale lui a été opposée pour les créances antérieures au 1er janvier 2008 ;
- en effet, alors que l'article 11 de la loi du 31 décembre 1968, dans sa rédaction initiale, faisait expressément référence à Mayotte, une telle référence a disparu à la suite de l'adoption de l'article 13 de la loi n° 95-97 du 1er février 1995 modifiant la rédaction de cet article 11, de sorte qu'à compter du 1er janvier 1996, aucune disposition de la loi du 31 décembre 1968 n'était plus applicable à Mayotte ;
- dès lors que le régime de la prescription des créances sur l'Etat ne figure parmi aucune des six catégories énumérées par l'article L.O. 6113.1 du code général des collectivités territoriales échappant au principe d'identité législative selon lequel " Les dispositions législatives et réglementaires sont applicables de plein droit à Mayotte ", la loi du 31 décembre 1968 est implicitement entrée en vigueur à Mayotte le 1er janvier 2008 par application de l'article LO 6123-1 du code général des collectivités territoriales ;
- toutefois, cette entrée en vigueur au 1er janvier 2008 ne l'a pas été de façon rétroactive. En effet, dès lors que conformément à l'article 2 du code civil : " la loi ne dispose que pour l'avenir ", faute d'une disposition contraire, le législateur doit être réputé n'avoir jamais entendu déroger au principe de non-rétroactivité, ce qui est tout particulièrement le cas en matière de prescription ;
- il ressort sur ce point d'une jurisprudence constante que lorsqu'une loi nouvelle modifiant la prescription d'un droit abrégeait ce délai, le nouveau délai était immédiatement applicable, mais qu'il ne saurait, à peine de rétroactivité et sauf disposition spécifique, courir qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ;
- à cet égard, si, ainsi que l'avait fait valoir le ministre des outre-mer en première instance, l'article 9 de la loi du 31 décembre 1968, adopté dès l'origine, a prévu son applicabilité aux créances antérieures à son entrée en vigueur, un tel article ne saurait cependant trouver à s'appliquer implicitement pour une loi votée trente neuf ans après, et ayant, elle-même, prévu une applicabilité implicite de ces règles de prescription quadriennale, de sorte que, à défaut de dispositions expresses en ce sens lors de l'adoption de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007, la règle de prescription quadriennale ne saurait rétroagir aux créances nées avant le 1er janvier 2008. Toute autre interprétation serait contraire aux dispositions du code civil qui prohibent, par principe, la rétroactivité, aux exigences constitutionnelles d'intelligibilité de la loi et aux stipulations des articles 6 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 1er de son premier protocole additionnel ;
- ainsi, les créances antérieures (2004-2007), auxquelles il convenait d'appliquer le délai de droit commun prévu par le code civil (soit la prescription de trente ans) peuvent être considérées comme soumises à un régime de prescription quadriennale à partir du 1er janvier 2008, exactement comme si elles étaient apparues à cette date, de sorte qu'elles ne pouvaient être prescrites que le 31 décembre 2012. Or puisque, le 29 mars 2012, le président du Conseil général de Mayotte avait écrit au Premier ministre pour lui demander l'indemnisation des charges indues, la prescription a été interrompue en 2012 ;
- en toute hypothèse, le I de l'article 65 de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 permettait d'écarter les dispositions de la loi du 31 décembre 1968, dès lors qu'une telle loi - spéciale - déroge aux dispositions générales relatives à la prescription quadriennale. A cet égard, la volonté du législateur était de faire cesser " au plus tard le 31 décembre 2004 " cette prise en charge indue et de poser un principe de droit à remboursement, sans limitation dans le temps ;
- par application, tant de 1'article 34 de la Constitution, que du principe de spécialité législative applicable à Mayotte, de simples décrets ne pouvaient, sans aucun support législatif, lui étendre l'applicabilité d'une loi en matière de prescription. Il y a donc lieu de soulever, en tant que de besoin, une exception d'illégalité à l'encontre des trois décrets mentionnés par le ministre et de les écarter en conséquence. Du reste, le décret de 1981 et celui de 1992 ont été adoptés à une époque où la loi du 1er février 1995 n'avait pas encore soustrait l'archipel des Comores au régime de la loi de 1968 ;
- en outre, les règles de prescription portent sur les droits pécuniaires des administrés, c'est-à-dire sur leurs biens au sens de l'article premier du premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme, et ne sont pas de simples règles procédurales à respecter dans les échanges avec l'administration ou devant les juridictions administratives. Dès lors, la loi du 11 juillet 2001 n'a pas introduit à Mayotte les dispositions de la loi du 31 décembre 1968 ;
- le refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité sur ce point décidé le 26 janvier 2016 par la cour de céans ne règle pas la question de l'applicabilité du mécanisme ;
- dans le cas spécifique de l'institution cadiale, la prescription quadriennale a été interrompue dès 2011, dès lors qu'il résulte notamment d'un courrier du préfet de Mayotte du 12 septembre 2011 qu'une réunion s'est tenue entre les services de l'Etat et le département de Mayotte le 16 septembre 2011 pour traiter de la question des charges indues ;
- il résulte tant de la demande indemnitaire préalable que de la demande de première instance que la justice cadiale devait être entendue comme portant sur l'institution cadiale et non sur l'une de ses activités, l'activité juridictionnelle proprement dite, de sorte qu'il n'y a aucune modification de la demande qui est, dans son ensemble, parfaitement recevable ;
- s'agissant du principe du droit à réparation, dès lors que les dépenses indues peuvent résulter de textes législatifs, de textes réglementaires pris par le Gouvernement ou par le préfet de Mayotte, de conventions ou tout simplement d'une situation de fait, il est parfaitement indifférent que, contrairement à ce qu'a relevé le tribunal dans certains dossiers de charges indues, il n'ait pas pu être retrouvé de traces écrites d'une sollicitation des services de l'Etat ;
- dès lors que l'Etat dispose de la compétence de la compétence, ainsi qu'il est d'usage dans un Etat unitaire, et que toute compétence publique et donc toute charge appartient par principe à l'Etat, une charge n'a à être supportée par une collectivité territoriale que si un texte d'un niveau au moins législatif en dispose ainsi, de sorte qu'un usage, une convention ou un décret ne peut mettre une dépense à la charge d'une collectivité territoriale et que le consentement de celle-ci à une dépense qui ne relève pas de sa compétence est inopérant ;
- il résulte de l'article 72-2 de la Constitution que l'Etat ne décide pas à la place d'une collectivité territoriale quelle est l'affectation de ses ressources et que lorsqu'il transfère une charge à une collectivité territoriale, il doit la compenser ;
- si les obligations mises à la charge d'une collectivité territoriale ne sauraient méconnaître leur compétence propre, cela signifie qu'une collectivité territoriale n'a pas à supporter une dépense qui ne relève pas de sa compétence, ainsi qu'il ressort des dispositions de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales. Or en l'espèce, dans certains cas, des dépenses ont été mises à la charge du conseil général par décret, alors qu'elles incombaient à l'Etat, et sans qu'aucun texte de niveau législatif ne permette un tel transfert de charge ;
- l'illégalité du traitement qui a été réservé à Mayotte est apparue si évidente aux yeux du...

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