Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 7 décembre 2004, 03-82.832, Publié au bulletin

Presiding JudgeM. Cotte
Case OutcomeRejet
Counsella SCP Ghestin,la SCP Piwnica et Molinié,la SCP Bouzidi,Bouhanna,la SCP Lyon-Caen,Fabiani et Thiriez.
Docket Number03-82832
CitationSur le n° 2 : A rapprocher : Chambre criminelle, 1993-11-16, Bulletin criminel, n° 341, p. 850 (rejet). Sur le n° 3 : A rapprocher : Chambre criminelle, 1993-02-23, Bulletin criminel, n° 86 (1), p. 208 (rejet).<br/>
Date07 décembre 2004
CourtChambre Criminelle (Cour de Cassation de France)
Publication au Gazette officielBulletin criminel 2004 N° 310 p. 1154
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Paul,

- Y... Olivier,

- DE Z... Xavier,

- LA SOCIETE LES EDITIONS PLON, civilement responsable

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 25 avril 2003, qui, du chef d'apologie de crimes de guerre et complicité, a condamné le premier à 7 500 euros d'amende, le deuxième et le troisième à 15 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 9 novembre 2004 où étaient présents : M. Cotte président, Mme Chanet conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand conseillers de la chambre, M. Valat, Mme Degorce conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Fréchède ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle GHESTIN, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, de la société civile professionnelle BOUZIDI et BOUHANNA, et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE, les avocats des parties ayant eu la parole en dernier ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société les éditions Plon, ayant comme président Olivier Y... et comme directeur de la collection historique les éditions Perrin, Xavier de Z..., ont publié l'ouvrage intitulé "Services spéciaux Algérie 1955-1957" dans lequel l'auteur, Paul X..., alors officier de renseignement, reconnaît avoir lui-même pratiqué la torture et procédé à des exécutions sommaires en Algérie, de 1955 à 1957 ;

Que, cités directement par le ministère public devant le tribunal correctionnel pour apologie de crimes de guerre et complicité, l'auteur du livre et les deux éditeurs ont été déclarés coupables de ces chefs ; qu'il a été relevé appel de cette décision par toutes les parties ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Olivier Y..., Xavier de Z... et les éditions Plon, pris de la violation des articles 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, des articles Il du chapitre 2 et du chapitre 4, 1ère partie de l'accord d'Evian du 18 mars 1962, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Olivier Y... et Xavier de Z... respectivement coupables d'apologie et de complicité d'apologie de crimes de guerre au titre des propos tenus par Paul X... dans un ouvrage intitulé "Services Spéciaux Algérie - 1955-1957" ;

"alors que l'accord d'Evian du 18 mars 1962 dispose que nul ne pourra faire l'objet de mesures de police ou de justice, de sanction disciplinaire ou d'une discrimination quelconque en raison d'opinions émises à l'occasion des événements survenus en Algérie avant le jour du scrutin d'autodétermination et que les propos tenus par l'auteur précité, lui-même étroitement impliqué dans les événements d'Algérie, constituant, ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer, exclusivement des opinions émises à l'occasion des événements survenus en Algérie avant le scrutin d'autodétermination et bénéficiant par conséquent d'une immunité, la cour d'appel ne pouvait, sans violer l'engagement international précité ayant une valeur supérieure à celle des dispositions de la loi interne, entrer en voie de condamnation à l'encontre d'Olivier Y... et Xavier de Z... pour apologie de crimes de guerre au titre de la publication des propos incriminés" ;

Sur le cinquième moyen de cassation proposé pour Paul X..., pris de la violation des articles 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, des articles II du chapitre 2 et du chapitre 4, 1ère partie de l'accord d'Evian du 18 mars 1962, ensemble des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le général X... coupable de complicité du délit d'apologie de crimes de guerre ;

"alors qu'aux termes de l'accord d'Evian du 18 mars 1962, nul ne pourra faire l'objet de mesures de police ou de justice, de sanction disciplinaire ou d'une discrimination quelconque en raison d'opinions émises à l'occasion des événements survenus en Algérie avant le jour du scrutin d'autodétermination ; que les termes de l'ouvrage du général X... qui sont incriminés concernent ses opinions et commentaires sur les événements survenus en Algérie avant le jour du scrutin d'autodétermination et bénéficiaient dès lors de l'immunité prévue par ce texte" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, faute d'avoir été proposés devant les juges du fond, les moyens, mélangés de fait, sont nouveaux et, comme tels, irrecevables ;

Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Olivier Y..., Xavier de Z... et les éditions Plon, pris de la violation des articles 3 de la IIIème Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 3 de la IVème Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 112-1 du Code pénal, 24, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Olivier Y... et Xavier de Z... respectivement coupables comme auteur et comme complice d'apologie de crimes de guerre ;

"aux motifs qu'en l'absence de définition des crimes de guerre en droit interne, il y a nécessairement lieu, pour l'interprétation de l'article 24 (alinéa 3) de la loi sur la presse, sauf à vider cet article de toute substance, de se référer au droit international ; que le droit international relatif aux conflits armés interdit la pratique de la torture et des exécutions sommaires, en particulier à l'encontre des prisonniers ; que cette interdiction figure dans les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 (ratifiées par la France le 28 juin 1951), en particulier dans la Illème Convention relative au traitement des prisonniers de guerre et la lVème Convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre ; que l'on peut citer les articles suivants : - article 3 commun aux quatre Conventions : "Sont et demeurent prohibées en tout temps et en tout lieu ( ... ) des atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices" ; - article 17 de la IIIème Convention : "Aucune torture physique ou morale ni aucune contrainte ne pourra être exercée sur les prisonniers de guerre pour obtenir d'eux des renseignements de quelque sorte que ce soit..." ; - article 130 de la IIIème Convention et 147 de la IVème Convention : "Les infractions graves visées à l'article précédent sont celles qui comportent l'un ou l'autre des actes suivants, s'ils sont commis contre des personnes ou des biens protégés par la Convention : l'homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences
biologiques, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou la santé" (...) ; que les Conventions de Genève ont été précédées par d'autres textes relatifs au droit des conflits armés, notamment la IVème Convention de La Haye du 18 octobre 1907 sur les lois et coutumes de la guerre sur terre ; que l'article 4 de l'annexe à ladite Convention (règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre) prévoyait : "Ils (les prisonniers de guerre) doivent être traités avec humanité" ; que l'expression "crime de guerre" figure expressément dans des instruments internationaux tels que : - l'article 6 (b) du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 (tribunal de Nuremberg) :
"( ... ) les crimes de guerre : c'est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent l'assassinat, les mauvais traitements des prisonniers de guerre que ne justifient pas les exigences militaires" ; - l'article 85 du Protocole 1 additionnel aux Conventions de Genève du 8 juin 1997 (Protocole ratifié par la France le 11 avril 2001) : "Sous réserve de l'application des Conventions et du présent Protocole, les infractions graves à ces instruments sont considérées comme des crimes de guerre" ; qu'il n'est pas indifférent de souligner que l'article 2 de la résolution 827 du conseil de sécurité en date du 25 mai 1993 créant le tribunal international pour l'ex-Yougoslavie attribue compétence à ce tribunal pour juger les "infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949", en particulier "l'homicide intentionnel" ainsi que "la torture ou les traitements inhumains", et que l'article 3 de la résolution 955 du conseil de sécurité des Nations-Unies en date du 8 novembre 1994 créant le tribunal pénal international pour le Rwanda attribue compétence à ce tribunal pour juger les "violations graves à l'article 3 commun aux Conventions de Genève du 12 août 1949 (...)", en particulier "le meurtre de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles" ; qu'il n'est pas douteux, à la lumière de ce qui précède, que le fait, à l'occasion d'un conflit armé, de torturer des prisonniers ou de procéder à des exécutions sommaires, est qualifié par le droit international de "crimes de guerre" ; qu'il convient de distinguer la notion de crime de guerre au regard du droit international et la compétence des juridictions pénales internationales ; que des exactions peuvent constituer objectivement des crimes de guerre même si aucune juridiction pénale internationale, au regard des textes qui régissent le statut de ces juridictions, n'a qualité pour en juger les auteurs ; que, dès lors, l'argument -tiré du droit interne français- selon lequel il ne...

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