Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 15 octobre 2002, 01-83.351, Publié au bulletin

Presiding JudgeM. Cotte
Case OutcomeCassation partielle par voie de retranchement sans renvoi
CounselM. Bouthors,la SCP Piwnica et Molinié,Mme Luc-Thaler.
Docket Number01-83351
Date15 octobre 2002
CourtChambre Criminelle (Cour de Cassation de France)
Publication au Gazette officielBulletin criminel 2002 N° 186 p. 682
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Alain,

- Y... Francis,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PAPEETE, chambre correctionnelle, en date du 29 mars 2001, qui, pour homicides involontaires, a condamné le premier à 9 mois d'emprisonnement avec sursis, a dispensé le second de peine, a ordonné une mesure de publication, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 1er octobre 2002 où étaient présents : M. Cotte président, Mme Agostini conseiller rapporteur, MM. Roman, Blondet, Palisse, Le Corroller, Beraudo conseillers de la chambre, Mme Gailly, MM. Valat, Lemoine, Mmes Menotti, Salmeron conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Chemithe ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire AGOSTINI, les observations de Me BOUTHORS, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE et de Me LUC-THALER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, que, le 18 avril 1991, alors qu'il allait atterrir à Papeete, un avion bi-moteur Z... 228, mis en service en octobre 1990 par la compagnie Air Tahiti, s'est écrasé en mer à une centaine de mètres de la côte ; que dix des vingt-deux passagers et membres d'équipage ont péri ;

Que les investigations ont établi que l'accident était dû à une panne du moteur gauche de l'avion à laquelle l'équipage, insuffisamment formé à l'exploitation de ce nouvel appareil, n'avait su remédier ;

Attendu qu'à l'issue de l'information judiciaire, le pilote de l'avion, Eric A..., l'instructeur de la compagnie aérienne, Alain X..., et deux responsables de la direction locale de l'aviation civile, Francis Y... et Guy B... ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour homicides involontaires ; que les premiers juges ont condamné le premier et relaxé les trois autres ; que, statuant notamment sur l'appel du ministère public, les juges d'appel sont entrés en voie de condamnation à l'encontre d'Eric A..., d'Alain X... et de Francis Y... ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation d'Alain X..., pris de la violation des articles 1er de l'arrêté du 18 août 1892 relatif à l'entrée en vigueur des lois, décrets, arrêtés, décisions et règlements dans les établissements français de l'Océanie, 111-5 du Code pénal, 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel a déclaré irrecevable la demande d'Alain X... tendant à voir constater l'inopposabilité de l'arrêté du ministre des transports en date du 5 novembre 1987 en Polynésie française ;

"aux motifs, qu'en ce qui concerne l'exception tenant au défaut de publication de I'arrêté du 5 novembre 1987 servant indirectement de fondement aux poursuites, exception qui peut s'analyser également comme une exception préjudicielle, la Cour constate qu'elle n'a pas été présentée, devant les premiers juges, dans les formes et délais prévus par les articles 385 et 386 du Code de procédure pénale et qu'elle est ainsi irrecevable ; que, pour faire reste de droit sur ce point, la Cour observe, à titre surabondant, que ce moyen est dépourvu de fondement ; qu'en effet, par application de son article 1er, l'arrêté du ministre des transports en date du 5 novembre 1987, a été rendu applicable de plein droit, dès sa publication, sur toute l'étendue de la République française y compris dans les Dom-Tom et collectivités territoriales ; qu'en raison de cette applicabilité de plein droit, il n'a été publié en Polynésie qu'à titre d'information (JOPF du 27 septembre 1990, actes du pouvoir central publiés à titre d'information, page 1527) ; qu'il convient de rappeler que le droit applicable dans les Dom-Tom est dominé par le principe ancien de la "spécialité législative" (Circulaire 1988-04-21, relative à l'applicabilité des textes législatifs dans les Tom) ; que ce principe, que l'on justifie par les particularités géographiques, économiques ou ethniques de ces territoires, signifie que les lois dictées pour la France métropolitaine ne sont pas applicables de plein droit dans les Tom ; que, seuls y sont applicables, en principe, les textes qui, lors de leur promulgation, sont spécifiques à l'organisation de ces territoires ou qui, de portée plus générale, comportent une mention d'applicabilité aux Tom ou, postérieurement à leur promulgation, sont rendus applicables aux Tom par une loi d'extension ; que, par dérogation à ce principe, certains textes sont applicables de plein droit aux Tom ; que ce sont non seulement les lois et règlements dits de "souveraineté", telles les lois constitutionnelles, les lois organiques, les lois ratifiant des traités internationaux, mais encore les textes touchant à l'état des personnes, à la mise en oeuvre des principes généraux du droit ou à celle des libertés publiques ; que les textes applicables de plein droit dans les Tom sont dispensés de promulgation et de publication locales, les autres textes étant localement soumis à ces formalités ; qu'au cas particulier, la question de savoir si l'arrêté du 5 novembre 1987 a été à bon droit ou non déclaré applicable de plein droit à la Polynésie et si c'est à bon droit ou non qu'il n'a été publié qu'à "titre d'information" relève de la compétence du juge administratif (dès lors qu'il ne sert pas directement de fondement aux poursuites) et aurait dû faire l'objet, en temps et en heure, d'une question préjudicielle dans les formes et délais prévus par l'article 386 précité ;


"alors qu'il se déduit des dispositions combinées des articles 111-5 du Code pénal et 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme que les juges correctionnels polynésiens, eu égard au principe de spécialité législative qui s'impose à eux, doivent d'office se prononcer sur le point de savoir si un arrêté publié au Journal Officiel de la République française mais dont seul l'extension a été publiée à titre d'information au Journal Officiel de la Polynésie française peut ou non être légalement applicable de plein droit en Polynésie dès lors qu'ils constatent expressément dans leur motivation, portant sur le fond du droit, que cet arrêté sert indirectement de fondement aux poursuites ;

"alors que, contrairement à ce qu'a énoncé la cour d'appel et ainsi que la Cour de Cassation est en mesure de s'en assurer elle-même, si l'arrêté interministériel du 17 juillet 1990 portant extension de l'arrêté du 5 novembre 1987 à la Polynésie Française a été publié à titre d'information au Journal Officiel de la Polynésie Française, ni l'arrêté du 5 novembre 1987, ni les arrêtés le modifiant n'ont quant à eux été publiés dans ce Journal Officiel" ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable l'exception d'inopposabilité de l'arrêté du 5 novembre 1987 relatif aux conditions d'utilisation des avions exploités par une entreprise de transport aérien, l'arrêt attaqué retient que l'exception n'a pas été présentée devant les premiers juges avant toute défense au fond et que l'arrêté précité, qui est applicable de plein droit, ne sert pas directement de fondement aux poursuites ;

Attendu qu'en cet état , l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que l'appréciation du bien-fondé de l'exception soulevée n'est pas nécessaire à la solution du procès pénal ;

Que, s'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que l'arrêté du 5 novembre 1987, rendu applicable par l'arrêté du 17 juillet 1990, n'était pas entré en vigueur en Polynésie française à la date des faits, faute de promulgation et publication locales régulières, il en ressort également qu'il était néanmoins appliqué par les services locaux de l'aviation civile et les entreprises de transport aérien ; que, dans ces conditions, si la méconnaissance des prescriptions de ce texte ne s'identifie pas à la violation d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité au sens de l'article 121-3, alinéa 4, du Code pénal, elle peut, en revanche, constituer la faute caractérisée prévue par le même texte ;

D'où il suit que le moyen est inopérant ;

Sur le deuxième moyen d'Alain X..., pris de la violation des articles 319 de l'ancien Code pénal et 221-6, alinéa 1er, du Code pénal (dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000), 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Alain X... coupable d'homicides involontaires ;

"aux motifs que les fautes distinctes et successives d'Eric A..., d'Alain X... et de Francis Y... ont bien conduit à l'accident mortel objet de la prévention ; qu'Eric A... a commis une faute dans la gestion de la panne du moteur gauche et une faute en ne prévenant pas les conséquences d'un atterrissage ou d'un amerrissage forcé et que ces fautes s'expliquent en partie par une insuffisance de formation et une insuffisance du manuel d'exploitation mis à sa disposition pour la préparation du vol, faute imputable à Alain X..., rédacteur du programme de qualification de type et de partie du manuel d'exploitation et instructeur des pilotes ayant reçu délégation de son employeur ; qu'en effet aucun pilote ne peut être affecté sur un nouvel appareil sans avoir reçu une formation spécifique, étant précisé que cette formation, dite "qualification de type", doit faire l'objet d'une approbation préalable de la part de la DGAC ; qu'un arrêté du 31 juillet 1981 dispose précisément sur ce point que la formation des pilotes destinés à conduire un avion de plus de 5 700 kg, prévu pour plus de 10 personnes, doit faire l'objet d'un programme détaillé, déposé auprès du SEAC et...

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