Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 mars 2020, 19-11.554, Publié au bulletin

Presiding JudgeMme Batut
ECLIECLI:FR:CCASS:2020:C100235
Case OutcomeCassation partielle sans renvoi
Docket Number19-11554
Appeal Number12000235
Date25 mars 2020
CounselSCP Baraduc,Duhamel et Rameix,SCP Matuchansky,Poupot et Valdelièvre
CourtPremière Chambre Civile (Cour de Cassation de France)
Subject MatterRESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Fondement de l'action - Article 1382 du code civil - Cas - Dénonciation calomnieuse
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mars 2020




Cassation partielle sans renvoi


Mme BATUT, président



Arrêt n° 235 FS-P+B

Pourvoi n° B 19-11.554




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 MARS 2020

M. V... G..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° B 19-11.554 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre C), dans le litige l'opposant à M. A... U..., domicilié [...], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Canas, conseiller référendaire, les observations et les plaidoiries de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. G..., de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de M. U..., et l'avis de Mme Ab-Der-Halden, avocat général référendaire, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 25 février 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Canas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, M. Girardet, Mmes Duval-Arnould, Teiller, MM. Avel, Mornet, Chevalier, Mme Kerner-Menay, conseillers, M. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, M. Serrier, Mmes Champ, Comte, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Ab-Der-Halden, avocat général référendaire, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 11 décembre 2018), après avoir envoyé à M. U..., alors président de la chambre de commerce et d'industrie de Montpellier, et aux membres de la commission des finances de celle-ci, une lettre dans laquelle il critiquait les comptes et la gestion de cet établissement, M. G... a, le 23 juin 2006, été démis par l'assemblée générale de ses mandats de membre du bureau et de la commission des finances. Le 4 janvier 2007, il a adressé au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montpellier une lettre dénonçant des faits qui ont donné lieu à l'ouverture d'une enquête préliminaire, puis d'une information judiciaire, au cours de laquelle M. U... a été mis en examen notamment du chef de corruption passive. Une ordonnance de non-lieu, devenue définitive, a été rendue le 3 novembre 2011.

2. Soutenant que la lettre adressée par M. G... au procureur de la République, ainsi que ses déclarations auprès des services de police, étaient constitutives d'une dénonciation téméraire, M. U... l'a assigné, sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, pour obtenir réparation des préjudices en résultant.

Examen des moyens

Sur le moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil :

4. La liberté d'expression est un droit dont l'exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi (1re Civ., 10 avril 2013, pourvoi n° 12-10.177, Bull. 2013, I, n° 67). Il s'ensuit que, hors restriction légalement prévue, l'exercice du droit à la liberté d'expression ne peut, sauf dénigrement de produits ou services, être sanctionné sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil (1re Civ., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-16.730, Bull. 2014, I, n° 120).

5. La dénonciation téméraire, constitutive d'un abus de la liberté d'expression, est régie par les articles 91, 472 et 516 du code de procédure pénale, qui, en cas de décision définitive de non-lieu ou de relaxe, et sans préjudice d'une poursuite pour dénonciation calomnieuse, ouvrent à la personne mise en examen ou au prévenu la possibilité de former une demande de dommages-intérêts à l'encontre de la partie civile, à la condition que cette dernière ait elle-même mis en mouvement l'action publique.

6. En dehors des cas visés par ces textes spéciaux, la dénonciation, auprès de l'autorité judiciaire, de faits de nature à être sanctionnés pénalement, fussent-ils inexacts, ne peut être considérée comme fautive. Il n'en va autrement que s'il est établi que son auteur avait connaissance de l'inexactitude des faits dénoncés, le délit de dénonciation calomnieuse, prévu et réprimé à l'article 226-10 du code pénal, étant alors caractérisé.

7. Pour condamner M. G... au paiement de dommages-intérêts, l'arrêt retient que celui-ci est l'auteur d'une dénonciation téméraire, de nature à engager sa responsabilité civile sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil.

8. En statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, M. G... s'était borné à adresser une lettre au procureur de la République, sans mettre lui-même en mouvement l'action publique, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

11. Aucune faute ne pouvant être retenue à l'encontre de M. G..., les demandes de M. U... doivent être rejetées.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les moyens du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit n'y avoir lieu d'écarter des débats certaines pièces, l'arrêt rendu le 11 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE les demandes de M. U... ;

Condamne M. U... aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mars deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour M. G....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR dit que monsieur G..., auteur d'une dénonciation téméraire, avait engagé sa responsabilité civile délictuelle à l'égard de monsieur U... et D'AVOIR condamné en conséquence monsieur G... à payer à monsieur U... la somme d'un euro symbolique au titre de son préjudice économique ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral ;

AUX MOTIFS QUE sur la dénonciation téméraire, la témérité d'une dénonciation était à elle seule susceptible d'engager la responsabilité de son auteur ; qu'il ne pouvait être contesté que le courrier du 4 janvier 2007 adressé par monsieur G... au procureur de la république de Montpellier avait donné lieu à l'ouverture d'une enquête préliminaire puis d'une information judiciaire ayant abouti à un non-lieu, étant relevé que l'ordonnance elle-même débutait par la référence à ce courrier ; qu'il n'y avait pas lieu, comme l'avait fait le premier juge, de limiter le périmètre de la faute à la seule lettre du 4 janvier 2007 et d'écarter les déclarations faites le 26 avril 2007 par monsieur G... aux services de police et ce, sur sa demande et de sa seule initiative, la cour relevant en outre que la pièce avait régulièrement été communiquée ; qu'en effet, la dénonciation téméraire était constituée tant par le courrier initial que par les déclarations complémentaires qui en étaient le prolongement et qui en tout état de cause étaient prises en compte dans le cadre de l'enquête préliminaire ; que l'intimé faisait valoir que l'ordonnance de non-lieu retenait expressément que l'exactitude des faits dénoncés par lui était confirmée par l'enquête effectuée par le SRPJ de Montpellier ; qu'en réalité, l'ordonnance indique seulement au niveau de l'exposé des faits et non de la discussion : « L'enquête préliminaire confiée aux fonctionnaires du SRPJ de Montpellier venait confirmer la matérialité des faits dénoncés par V... G... et mettait à jour des relations industrielles et commerciales privilégiées entre deux sociétés dirigées par A... U... et deux sociétés ayant participé à des opérations, notamment immobilières conduites par la CCI sous sa présidence » ; que le magistrat instructeur n'avait pas, contrairement à ce que soutenait l'intimé, considéré que les déclarations de monsieur G... étaient exactes ; qu'il était seulement relevé la matérialité des relations existant entre les sociétés visées et celle des cessions immobilières intervenues ; que s'agissant de la recherche d'un pacte de corruption entre monsieur U... et monsieur B... représentant légal de la société Océanis Promotion qui détenait 30 % du capital de la société Littoral Bureaux, dont le conseil d'administration était présidé par monsieur U..., monsieur G... indiquait notamment dans son courrier du 4 janvier 2007 : « Océanis aurait abondé en compte courant pour couvrir les besoins de trésorerie de la société Littoral Bureaux » ; que dans sa déposition spontanée du 26 avril 2007, il exposait encore : « (...) Il en ressort que la CCI n'a semble-t-il lancé aucun appel à la concurrence ou en tout cas n'a pas obtenu d'offres hormis celle d'une société Océanis, au...

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